Les tourments de son âme III ;

« Liam ? Tu as besoin d'aide encore ? »

Je relevais les yeux et croisais le regard interrogateur d'Izikel. Je souriais, fatigué de cette journée et me laissais retomber sur le dossier de mon fauteuil de bureau.

« Non merci Walig. Il est trois heures du matin, tu devrais déjà être rentré ! Qu'est-ce que tu faisais encore là ? »
« Je finissais le rangement de la sellerie... »

Je soupirais une nouvelle fois. Jamais il n'arrêtait de travailler...

« Files ! Les autres dorment depuis deux bonnes heures déjà ! Et demain dors ! Interdiction de descendre avant dix heures ! »
« Bonne nuit chef ! »

Il eu un sourire ironique et me fis un salut de la main avant de disparaître dans l'allée de l'élevage. Pour ma part j'enfouissais ma tête dans mes paumes, coudes sur le bureau. Et voilà ! Un nouveau déménagement de bouclé ! Et en plus de cela, un retour aux sources... Je relevais les yeux et laissais mon regard tomber sur Sherlock, roulé en boule sous ma lampe de bureau. Il ouvrit un oeil, croisa mon regard et se mit instantanément à ronronner, m'arrachant ainsi un sourire.

« Aller sac à puce ! Un dernier tour d'écurie et on rentre. Il est tard. »

Je me levais et il faisait de même, sautant à terre pour me suivre dans l'allée de l'élevage. J'éteignais la lumière du bureau et passais devant chaque box, m'arrêtant un instant à chaque porte. Ce changement de trimestre avait été moins mouvementé que les précédents, surtout grâce au départ à la retraite de certains de nos éléments les plus turbulents...

L'été était passé à une vitesse folle. Après les FHE, j'avais permis à l'équipe du repos et des vacances et ce trimestre Californien avait été bien accueillit par tout le monde. Ezra en avait profité pour aller voir sa mère à New York et avait emmené Inna avec lui. Enzo était rentré dans sa famille avec Louna. Neyla avait été voir son père en Australie avant de rejoindre Sam chez Enzo. Elle était rentré en fin d'été avec les autres. Siobhan avait eu quinze jours de vacances qu'il avait prit avec Lou. Elle avait fini par aller faire un road trip avec Logan et Dean sur toute la côte est. Seuls Izikel, Alejandro et Kwaïgon étaient resté tout l'été. Les chevaux passaient la plupart de leur temps au pré et au final, seul Izikel travaillait réellement, ne lâchant jamais le rythme. Myriam a bien essayé de le raisonner, mais il n'y avait rien à faire. Il travaillait, encore et encore et rien de ce que nous pouvions lui dire atténuait ses souffrances. Ils n'étaient pas tous parti les deux trois mois d'été mais je ne les avais pas sollicité pour autant, leur laissant le temps de reprendre leurs marques et de se détendre après les difficiles années que nous avons eu. Après tout, c'était les premières vraies vacances de l'équipe ! Autant qu'ils en profitent...

Orcanta passa la tête par dessus la porte de son box et je lui souriais en lui grattant la joue. Elle avait été inséminée au début de l'été et cette semaine, Siobhan m'avait confirmé qu'elle était bien gestante, tout comme Katynka chez les Narita's Travellers. Deux nouveaux poulains qui arriveraient plus vite que je ne le pensais. Cette année encore allait passé à une vitesse folle... Cela faisait déjà quoi ... ? Trois ans que le Haras avait ré-ouvert ses portes ? Je ne retrouvais plus le compte tellement les années passaient vite. Je regardais Sherlock sauté sur la porte du box de Dom et Yoda avant de disparaître à l'intérieur et se lové entre les jambes du miniature américain, couché au fond du box. Il passerait la nuit là, comme toutes les précédentes. J'échangeais un regard avec Unforgotten Winter et sortais en éteignant la lumière et fermant la porte. Je prenais doucement le chemin du Manoir après ça, à travers la forêt dense qui nous hébergeait, seul et à pied.

L'air frais des nuits d'automne française m'enveloppa immédiatement et je réprimais un frisson. Il était quand même bon d'être de retour chez soi. La Normandie nous permettait de rendre visite à Peter et de revoir certaines têtes. Oraanu Pi était toujours dans ses prés, dévoué à la reproduction et la tonte de la pelouse... Logan avait d'ores et déjà été réquisitionné par l'anglais et il passerait quelques jours par semaine chez lui, essentiellement le mercredi et les week-end, pour instruire la jeunesse. Un cavalier pro, interne à Full Horse, revenant par ici, il ne voulait pas rater ça. Et je ne pouvais que le comprendre... Un an après son accident, Louna avait retrouvé la quasi totalité de ses capacités. Il ne lui restait plus qu'à reprendre le cheval pour retrouver ses sensations de ce côté là également. L'été calme avait eu le mérite de calmer quelques esprits et régénérer tout le monde. Myriam et Maël avaient passé une partie de l'été sur la côte basque, chez la grand-mère de Myriam et j'avais été heureux de les retrouver pour cette nouvelle rentrée. Tout le monde avait le moral. Tout le monde sauf Izikel. L'irlandais était désormais un sujet d'inquiétude pour nous tous. Ezra essayait de le remotiver, de lui faire remonter la pente, mais même si face à nous il faisait des efforts, je savais qu'au fond, il sombrait de plus en plus et je ne savais pas quoi faire pour le rattraper. Il me semblait hors de portée... Cette pensée m'arracha un soupir alors que la lumière du porche se dessinait au bout du chemin. Mise à part la veilleuse du hall, tout le pavillon était endormi. Je m'arrêtais un instant pour contempler les nouveaux bâtiments et souriais de nouveau avant de poursuivre vers le pavillon des éleveurs.

Une luciole attira mon attention près de l'entrée. La silhouette, dans l'ombre, m'étais pourtant familière et je ne m'inquiétais pas. Lorsque j'approchais, je m'arrêtais, les mains dans les poches et faisait face à cette force tranquille. Son regard sombre se posa sur moi alors qu'il tirait les dernières bouffées de sa cigarette. Je le laissais finir, m'asseyant sur la dernière marche. Il ne tarda pas à me rejoindre en silence. Un silence qui se prolongea quelques secondes, avant que je ne le brise. J'aurais pu monter dans ma chambre, mais il n'était pas devant son pavillon et s'il m'avait attendu jusqu'à cette heure tardive de la nuit, c'est qu'il avait une bonne raison. Il ne faisait jamais rien au hasard.

« T'es bien loin de ta chambre... Ton pavillon il est de l'autre côté du bosquet là... »
« Je sais. »
« Qu'est-ce qui ne va pas ? »
« Je ne sais pas encore... Mais il est possible qu'on soit en danger. »
« Si tu viens m'en parler c'est que ça doit être sérieux. »
« Pour faire court, c'est suite à ce qu'Izikel a fait avec Moïra au printemps. Ce ne sont pas des drôles et ils ne retrouvent pas Moïra. Ils risquent de vouloir mettre la main sur Izikel pour faire appât. »
« Tu les connais ? »
« Maintenant oui. Mais ce n'était pas le cas au printemps. »
« Tu le sais depuis longtemps ? »
« Assez pour les avoir étudié en détail. »
« Et tu n'en parles que maintenant parce que... ? »
« Parce que le danger n'est pas encore réel. Et que vous avez vécu assez d'horreur comme ça. Je ne veux inquiété personne. Mais je veux que toi tu saches, parce qu'il est possible que je doives partir régler le problème. »
« Seul ? »
« S'il le faut, oui. »
« Non. Pas seul. On trouvera une solution. »

Le coréen plongea son regard sombre dans le mien et acquiesça avant de se lever.

« Merci. Bonne nuit Liam. »
« Bonne nuit Kwaï. Et pas trop tôt demain ! »
« Comptes sur moi ! »

Le coréen s'éloigna dans l'obscurité, me laissant seul avec mes sombres pensées. Si je lisais entre les lignes, ce problème là n'était pas une bonne nouvelle... Il ne fallait pas qu'Izikel soit au courant... Il était déjà au fond du gouffre, inutile de l'ensevelir à l'intérieur. Un soupir s'échappa de mes lèvres et je me levais. Un coup d'oeil à ma montre m'indiqua qu'il était presque quatre heures du matin... Demain, c'était repos. Mais après-demain, le travail recommencerait. Avec quelques difficultés, je finissais par faire le vide et m'endormais l'esprit presque tranquille. Demain... Demain, un nouveau chapitre de nos vies s'ouvrirait...