Teardrop
Admin
Aparté 01 | Dans les ténèbres de la nuit - Mar 15 Déc 2020 - 14:12
Son regard se perdait dans l'obscurité de la chambre, silencieuse. Elle observait un instant les contours des meubles, de ses affaires qui occupaient la petite pièce. Elle s'était installée chez Jeffrey, transformant son bureau en seconde chambre. Elle était beaucoup moins spacieuse qu'une véritable chambre, mais beaucoup plus tranquille que sa chambre attitrée par l'administration de l'académie. Yennefer poussa un profond soupir en se tournant presque rageusement dans son lit, posant ainsi son regard sur son réveil. Le sommeil ne viendrait pas cette nuit.
Elle s'était glissée à l'extérieur de la chambre, attrapant un peu au hasard ses vêtements ainsi que son manteau à l'aveuglette. Vu l'heure, elle risquait de croiser personne dans les couloirs ni dans les salles communes du Pavillon Nord.
« BORDEL SA PUTE ! J'aurais dû embarquer ma couette... C'est quoi ce pays de merde, où tu te gèles le cul ! » S'exclama-t-elle avec spontanéité à peine dehors.
Elle courut littéralement vers le pavillon, continuant à cracher ses mots pour maudire les températures hivernales de la nuit. Il fallait dire qu'elle avait oublié de prendre un pull, que malgré son manteau son T-shirt était fortement léger sur sa peau. Le soulagement se dessina sur les traits de son visage quand elle entra dans le bâtiment, accueillant avec joie la chaleur de celui-ci. Yennefer se dirigea vers la cuisine, lieu où elle allait rarement seule. Elle chercha un instant l'interrupteur de la pièce avant de se jeter sur les placards.
« Espérons qu'il y a de quoi cuisiner... que je ne sois pas sortie pour rien, cela me ferait bien chier en plus de ne pas dormir. »
Un sourire ne tarda pas à s'installer sur ses lippes, elle allait pouvoir préparer son plat, la spécialité polonaise de sa mère. Ce n'était pas de la gourmandise, mais ce plat était l'unique remède qu'elle possédait à ce jour pour calmer ses tourments, pour faire taire ses pensées. Et ce soir, elle avait besoin de ça. Ainsi, elle entreprit de sortir les ustensiles dont elle avait besoin, ainsi que les ingrédients. Naturellement, se pensant seule dans le bâtiment, elle se mit à chantonner des comptines de son enfance, se replongeant dans ses vieux souvenirs. Le coréen regarda sa montre avec une certaine absence dans le regard. Il aperçu l'heure qu'elle affichait sans la voir mais ne replongea pas pour autant son regard sur elle. Il soupira, répondant au mail de Calum en essayant de ne pas s'énerver. Le garçon ne le verrait pas à travers ses lignes mais il ne voulait pas paraître trop dur dans le choix de ses mots. La page Iakimov était tournée, mais ce n'était pas pour autant que ses tourments avaient disparus eux aussi. Ils étaient en sourdine, pour un temps. Un jour, les problèmes reviendraient. Mais ce jour n'était pas encore arrivé. Quand il termina de taper sa réponse, il posa de nouveau les yeux sur l'horloge de son ordinateur : presque une heure du matin. Qu'allait-il faire ? Se coucher ? Non... Jamais aussi tôt. Mais à cette heure-ci, le Haras entier devait l'être. Ou alors, ceux qui n'étaient pas coucher étaient en ville et donc, pas ici. Il pouvait rejoindre la salle de sport du sous-sol du Manoir en toute tranquillité. Il troqua donc son jean contre un pantalon ample noir et passa un sweat par dessus son t-shirt noir. Une paire de chaussette et il enfila prestement ses baskets avant de fourrer dans la poche de son sweat le minimum vital : ses clés et son téléphone. Il n'avait besoin de rien d'autre. Il sortit ensuite, prenant la direction du Manoir d'un pas vif.
Prague était presque sous la neige. L'air glacial de la nuit sentait la neige, même si elle n'était pas encore tombée. Se serait pour peu de temps. Quelques jours sans doute... A la prochaine tempête. Une perspective qui ne l'enchantait guère : sa corvette n'aimerait pas la neige, il le savait. Et bien qu'il sache parfaitement conduire sur la neige et le verglas, il préférait s'abstenir au possible. Cette constatation lui arracha un soupir et lui fit presser le pas. Il n'avait pas envie de rester dans ce froid glacial plus longtemps. En entrant dans le hall cependant, il fut surprit de voir de la lumière émaner de la cuisine. Il fronça un instant les sourcils et écouta. Un chantonnement accompagnait des bruits de cuisine. Qui pouvait bien s'activer à une pareille heure de la nuit ? A part lui, peu de cavaliers au Haras se montrait insomniaques. Il s'avança donc à pas de loup jusqu'à l'embrasure de la porte ouverte et s'arrêta sur le seuil, jetant un oeil discret. Un fin sourire se plaqua sur ses lèvres quand il la reconnu et il glissa les mains dans la poche centrale de son sweat en silence. Il resta ainsi, sans bouger, durant un long moment, observant la jeune femme sans rien dire. Elle avait quelque chose d’intrigant. Quelque chose qui l'attirait sans qu'il ne sache vraiment ce que c'était. Il n'avait pas l'habitude de ce genre d'attirance pour quelqu'un. Il faisait rarement confiance aux gens. Mais elle avait su gagner sans trop le savoir sa confiance, ou du moins une bonne partie. Elle était assez franche pour lui dire les choses, ne pas les lui cacher, et c'est sans doute une part de ce qui faisait qu'il sentait qu'il pouvait compter sur elle... Dans une certaine mesure bien sûr. On ne perd pas ses habitudes aussi facilement... Surtout lui...
« Oignon... Oignon... Comme s'il n'allait pas assez me faire chialer en le coupant, je vais mettre dix minutes à en trouver un... »
Elle claqua légèrement la porte d'un placard avant d'ouvrir le suivant, où elle en trouva un finalement derrière le sac à pomme de terre. Elle marmonna vaguement quelque chose en polonais dont la sonorité ne pouvait signifier que son contentement de l'avoir trouver. Elle le posa sur le plan de travail, pour s'armer ensuite d'un couteau. Ses gestes n'avaient rien d'expert dans les mouvements, elle découpait de manière assez grossière l'oignon. Cependant, son regard était concentré à sa tâche, elle mettait du cœur à l'ouvrage. Yennefer renifla bruyamment en tentant de retenir ses larmes, des injures ne tardèrent pas à se manifester pendant qu'elle s'activait pour terminer rapidement.
« Tâche ingrate faite ! La suite... »
Elle reprit sa mélodie en mettant de l'huile dans une poêle avant d'y jeter l'oignon ciselé pour le faire suer. Le crépitement ne tarda pas à chantonner à son tour, dans son élan elle continua à s'activer dans la préparation de la farce. Le sourire ne quittait pas le visage du coréen, franchement amusé par le comportement de la jeune femme. Elle se pensait seule. Pas l'ombre d'un instant elle n'avait sentit sa présence. Cependant, il resta concentré, immobile, dans l'attente. Il ne savait pas s'il devait intervenir ou pas. S'il intervenait, il brisait ce petit spectacle, jusqu'à ce qu'elle le repère. S'il brisait sa bulle, il perdait également la possibilité de s'éclipser aussi silencieusement qu'il était arrivé. S'il partait maintenant, jamais elle ne saurait qu'il l'avait observé ainsi... Sauf s'il le lui avouait. Mais d'un autre côté, il ne pouvait s'empêcher de rester planter là. Spectateur silencieux d'un morceau de sa vie. Sans le regard des autres, les gens se comportaient différemment. La plupart en tout cas. Il ne faisait pas parti de ceux là. Il faisait toujours comme si un regard se posait sans cesse sur lui. Mais Yennefer n'en faisait manifestement pas parti. Bien qu'elle ne semble pas différente de tout les jours, il y avait quelques petits changements. Elle était toujours aussi franche, mais elle laissait aller ses colères, ses frustrations et ses doutes. Cela se voyait dans ses gestes, dans sa concentration. Venait-elle cuisiner pour occuper son esprit ? S'occuper les mains pour se vider la tête était courant. Certains faisait du ménage, d'autres du sport, d'autres encore cuisinaient, ou dessinaient sur une toile... Faisait-elle parti de ces gens là ? Qu'est-ce qui pouvait bien l'empêcher de dormir au point qu'elle vienne s'occuper les mains en plein milieu de la nuit ? Autant de questions qui resteraient sans réponses tant que le coréen ne les poserait pas. Et quand bien même, il n'était pas certain d'en connaître un jour le fond... Il avait beau savoir beaucoup de choses, il n'en était pas pour autant un Dieu ou un devin. Encore moins un télépathe. Malgré tout, pendant qu'il se posait toute ces questions et spéculait sur la demoiselle, elle poursuivait sa préparation et il restait immobile, dans l'encadrement sombre de la porte, à attendre, avec patience, grappillant, seconde après seconde, des informations, toujours un fin sourire sur les lèvres et le regard amusé. Jamais il n'avait été aussi expressif... Jamais il ne l'était plus qu'en sa compagnie...
Yennefer versa le contenu de la poêle dans un récipient qu'elle déposa sur le côté, avant de la jeter dans l'évier. Puis elle se dirigea vers le frigo, en ressortant deux œufs quand soudainement elle se figea nette. Une ombre, difficilement distincte dans l'encadrement de la porte, cela ne pouvait pas être le reflet de la lumière. Sa réaction fut immédiate, malgré le ton vibrant de sa voix.
« Sors rapidement de là ou je te balance un œuf dans la gueule ! Je te préviens je sais très bien visée ! »
Peut-être était-elle entrain de se faire des films toute seule. Peut-être qu'il y avait personne derrière cette porte. Dans le pire des cas, elle était entrain de parler toute seule et elle risquerait seulement de balancer un œuf sur le mur. Car aucun doute qu'elle allait balancer l'un de ses œufs dans pas longtemps. Le coréen retint un rire et s'avança d'un pas léger, laissant un filet de lumière tomber sur ses épaules. Elle avait mit un certain temps, mais elle avait finalement repéré sa présence. Il ne s'était pas caché à vrai dire. Il était simplement resté dans l'ombre. Elle poussa un soupir de soulagement quand elle le vit apparaître à la lumière, ne cherchant même pas à masquer sa réaction. De toute façon, la légère panique quand elle avait vu l'ombre s'était inscrite sur les traits de son visage. Elle n'allait pas nier qu'elle a eu peur sur le moment, même si elle n'avait pas hurlé comme la plupart des gens.
« Ne gâche pas tes œufs pour moi. Se serait dommage. »
« Bordel... J'ai vraiment manqué de te le balancer cet œuf... »
Il lui adressa un fin sourire et attendit quelques secondes de jauger sa réaction. En d'autres termes, allait-il être congédié ? Ou invité à rester... Elle les déposa sur la table, avant de se tourner pour récupérer un saladier.
« Il y a vraiment que toi pour te fondre ainsi dans l'ombre. Marmonna-t-elle avec un sourire. »
« Je n'en doute pas un instant. »
Il répondit à son sourire et s'avança plus avant dans la cuisine. Il attrapa un tabouret haut et s'assit à califourchon dessus, pour pouvoir faire reposer ses bras sur le dossier de ce dernier. Elle ouvrit un paquet de farine qu'elle versa dans le récipient, jaugeant vaguement son contenu avant de reposer son attention sur Kwai. Elle prit le temps de l'observer, notamment sa tenue qui l'avait agréablement surprise au début. L'avait-elle vue une seule fois vêtue ainsi ? Elle s'était doutée qu'il devait pratiquer un sport au vu de sa carrure, mais elle s'était souvent posé la question. Quand le faisait-il ?
« Tu fais ton sport la nuit habituellement ? »
« Cela dépend des nuits... Mais oui. Plus habituellement un peu plus tard, entre trois et quatre heures. »
« Mais... tu dors quand ! jura-t-elle d'étonnement. Je suis entourée d'oiseau des nuits... »
Il sourit mais ne répondit rien. Cependant, il n'allait pas lui mentir. Il passait la plupart de ses journées en jean ou en culotte de cheval. Il était rarement en public en tenu de sport et encore moins en costume. Et il dormait peu. Travailler son corps la nuit entretenait aussi la légende... Le mythe... Le mystère qui l'entourait. Et c'était ce qui faisait non seulement sa renommé mais aussi une part de sa protection, alors il n'allait pas changer ce fait. Quelques uns le connaissaient vraiment et Yennefer était en train d'en faire parti, jour après jour. Jusqu'à quel point ? Il ne le savait pas encore. Elle avait eu la décence de ne poser aucune question, de n'émettre aucun jugement quand à son sale état de leur première rencontre alors il la laissait entrer peu à peu dans son monde, pousser par la curiosité ; où cela allait-il le mener ? Pas à sa perte... Ou tout du moins, il l'espérait...
« Et toi, tu cuisine toujours aux alentours de minuit ? »
Un sourire en coin, moqueur, se dessina sur ses lèvres, rapidement, avant de laisser place à sa neutralité habituelle. Des filets d'expressions qu'il s'autorisait, en sa présence seule, en de rares occasions... Elle éclata de rire avant de lui répondre tout en cassant les œufs qu'elle verra dans le saladier.
« Non, moi j'aime dormir et faire ma putain de marmotte dans mon lit généralement. Dit-elle amusée. »
Il pouvait lui arriver de traîner dans son lit lors des matinées où son planning lui permettait de le faire. Ce n'était pas vraiment de la paresse, vu qu'elle ronchonnait rarement pour se lever, du moins de manière sérieuse et sincère. Car, il lui arrivait régulièrement et depuis sa jeunesse de faire chier son entourage avec ça. Elle n'avait pas honte d'aimer glandouiller dans son lit, ni même de faire partir des gens qui dorment un bon quota d'heure chaque nuit. Le coréen écoutait en silence, attentif à ses gestes et à ses paroles, entrant dans cette bulle de lumière au cœur de la nuit avec tout le naturel dont il était capable.
« Tiens, tu veux bien me couper le beurre en morceau ? »
Elle lui glissa une plaquette de beurre ainsi qu'un couteau avant d'aller récupérer un verre d'eau. Il acquiesça et se mit à l'ouvrage en silence, concentré plus sur ses paroles que sur sa tâche. Mais en un rien de temps, il avait débité le beurre en petites cubes réguliers. Une fois sa tâche accomplie, il reposa le couteau à côté du beurre et repoussa tout doucement la plaquette vers elle.
« Morphée n'avait pas envie de m'amener avec lui au pays des rêves cette nuit... C'était soit cuisiner, soit proposer un jeu de cartes à Jeffrey... Mais je pense qu'il m'aurait assommé direct si je l'avais réveillé... »
Il l'aurait surtout assommer de questions, et certaines périodes de sa vie elle ne pouvait pas les lui dévoiler. Pas qu'il ne pouvait pas les entendre ou les comprendre, mais parce qu'elle n'avait pas envie qu'il sache à quel point sa jeunesse n'a pas été facile. Il n'était pas naïf, il savait des choses de par sa mère, et elle souhaitait que cela en reste-là.
« A esprit préoccupé l'on trouve quelque chose à faire... »
Il avait murmuré cette phrase, mais assez fort pour que la jeune femme l'entende. Il fixa son regard sur son visage, tentant d'y lire ses secrets, en vain. Comme presque toujours. Elle lui répondit d'un sourire qui en disait long sur ses pensées. Elle n'avait pas besoin de détailler pour le moment, il avait compris l'essentiel.
« Et qu'as-tu décidé de cuisiner pour oublier tes tourments ? »
« Quelque chose que tu as probablement jamais mangé... Dit-elle avec un regard amusé avant de poursuivre. Des Pierogi ! »
Une pointe de curiosité dans le regard. Pas de sourire, pas d'amusement. Il restait impassible, comme il l'était toujours, comme elle ne le connaissait que peu. Avec elle, il avait dès le début était bien plus expressif qu'avec les autres. Une dureté qu'elle ne lui connaissait pas encore. Mais une facette de sa personnalité qu'elle devrait bien apprivoisé un jour... Si elle le voulait. Elle ne semblait pas perturbée par son manque d'expression soudainement, gardant elle-même un sourire aux lèvres en commençant son explication.
« C'est un plat typique Polonais, c'est en fait l'unique plat que ma mère a su m'apprendre à cuisiner. Le reste, il faut généralement avoir la dalle pour les manger dans sa totalité. »
Yennefer n'avait jamais eu la patience pour la cuisine, ce n'était pas quelque chose qui l'intéresse réellement. Elle aime bien mangé, n'est pas très difficile à contenter, mais elle a tendance à laisser la lourde tâche de la réalisation des plats à quelqu'un d'autre. Limite, elle peut donner un coup de main, mais sans être la chef des fourneaux. Le coréen sourit et la laisse poursuivre ses explications, attentif.
« C'est une sorte de ravioli à la viande ou à la purée de pommes de terre... En fait, ma mère a tendance à les mettre à toutes les sauces. »
Elle commençait à mélanger la farine après avoir versé les derniers ingrédients dans le saladier. Son regard avait tendance à se poser vers Kwaï', faisant machinalement les gestes pour pétrir la pâte qui se formait doucement entre ses doigts. Le jeune homme la laisse faire un moment avant de hausser doucement des épaules.
« En fait, c'est comme des gyosa mais avec une pâte à base de blé au lieu d'une pâte à riz. »
« J'en ai jamais mangé donc je ne pourrais pas te dire. Il faudra que je goûte à l'occasion. »
Il pose sur elle un regard attentif mais sans pour autant y faire passer une émotion. Cependant, la regarder faire ainsi commence à lui donner faim. Il a dîné il y a quelques heures maintenant et quelque chose à se mettre sous la dent ne lui serait pas de refus.
« Et tu pense que t'en as encore pour longtemps ? Ou se sera vite prêt ? »
Un regard plein d'espoir se pose dans celui de Yen, qu'il croise régulièrement durant sa préparation. Elle semble concentré sur sa tâche mais attendre quelque chose de lui, à le regarder si souvent... A moins qu'il ne se trompe. C'est d'ailleurs ce qu'il choisi comme option et ignore ces regards réguliers. Elle éclata de rire, vibrant d'un amusement sincère et spontané.
« Toi, tu as faim ! Dit-elle encore sous l'éclat de son rire. »
« Oh non ! Je suis découvert... »
Il mima un geste offusqué mais sourit en réponse à son rire, avant de reprendre son observation. Elle devait bien avouer que le regard qu'il lui avait lancé avait quelque chose de touchant. Et que sa gourmandise avait parlé pour lui, un détail qu'elle venait à l'instant de découvrir, elle n'aurait pas cru. Elle venait de terminer avec la pâte, récupérant un rouleau pour l'étaler sur le plan de travail.
« Si tu m'aides à les mettre en forme, il manque plus qu'à les faire cuire et c'est prêt. »
« Ok. Va pour le coup de main. »
Son sourire ne semblait pas vouloir quitter ses lèvres, elle lui tendit l'emporte pièce qui ne devait pas lui être inconnu vu qu'il permettait de faire des raviolis. Elle ne serait pas étonnée que ce type de moule à l'identique soit utilisé pour différente recette. Il se leva et prit place à côté d'elle, se mettant rapidement au travail pour découper la pâte en disques réguliers qui seraient garni de farce et refermés.
« Moi qui me demandait comment j'allais pouvoir tous les manger... Finalement, tu tombes à pic, malgré la mini-crise cardiaque que j'ai manqué de faire à cause de toi ! » Plaisanta-t-elle.
« Moi ? Je t'ai fait peur ? Non... »
« Tsss ! »
Il secoua négativement de la tête, faisant mine de ne pas y croire. Il retrouvait un peu d'expression qu'elle lui connaissait mieux. La faim sans doute, le poussait à cela. Elle lui montra vaguement comment s'y prendre, mais comme avec le beurre sa gestuelle des doigts était beaucoup plus professionnelle que ses propres gestes à elle. Faisait-il régulièrement la cuisine ? Quel genre de plat... Elle était curieuse de savoir, et c'était une question qu'elle lui poserait un jour. Il la laissa le guider, non sans un fin sourire amusé qu'il cacha bien vite derrière son masque de sérieux et de concentration.
« Tu veux un accompagnement avec ou seulement tes Pierogi ? »
« Avec de la salade, cela passe bien ! Puis vu la farce qu'on met dedans, cela te tient bien le bide. »
« Parfait. »
Ou alors une sauce ? Mais cela dépendait de la cuisson, qui les rendrait plus ou moins sec... Se serait aux talents de sa cuisinière du jour ! Et il allait bientôt les découvrir, ces talents... Elle était en train d'allumer la gazinière, mettant une casserole remplie d'huile sur le feu avant de les faire cuire.
« Tu auras le droit de recracher si ce n'est pas bon hein ! »
Il eu un petit rire. Comme s'il allait réellement recraché son plat... Il en doutait très franchement. Mais il ne se permit aucun commentaire, se contentant d'un très léger haussement d'épaule. Il attendait de voir en somme. Elle était curieuse d'avoir son avis sur sa cuisine, même si elle appréhendait un peu. L'unique personne qui avait eu le privilège de goûter à ses plats était sa mère. Et elle ne pouvait pas vraiment dire que son point de vue était sincère.
« Ne dit jamais à Jeffrey que tu as goûté mes Pierogi... J'ai jusqu'à présent réussi à esquiver à chaque fois. »
« Je serais une tombe. » Dit-il avec plus de sérieux qu'il ne le fallait.
Elle ne pouvait pas s'empêcher de se moquer d'elle-même face à ses pensées, mais sa mère avait tendance à prendre la cuisine au sérieux. Et surtout à lui rabâcher les oreilles que celle-ci doit être faite avec envie et avec le cœur. C'était peut-être pour cette raison qu'elle était nulle à ça... Elle y arrivait uniquement lors de ses moments où elle a besoin de s'évader, généralement seule. Elle se surprenait à accepter le laisser partager ce moment avec elle, à goûter son plat. Probablement parce qu'il est si différent des autres, malgré ses nombreux regards elle arrivait toujours pas à le déchirer totalement. Il était un véritable mystère, et sa présence avait un côté apaisant. Elle avait tendance à mettre cette sensation sur sa facette de neutralité, il ne la jugera pas. En attendant qu'elle fasse cuire ses gros raviolis, le coréen sorti deux assiettes d'un placard, des couverts, et une boîte en plastique estampillée à son nom du frigo. Il posa le tout au bout de la table bar et fouilla un peu dans les placards avant de trouver deux verres à vin et dénicha une bouteille de vin qu'il savait cachée là. C'était un vin rouge français, venant tout droit de la région bordelaise.
« Une verre ? »
Il leva la bouteille en direction de la demoiselle, le regard interrogateur. Il l'avait réservé pour une autre occasion mais cela irait parfaitement avec ce petit repas improvisé. Tout comme la salade de choux rouge et rave qu'il avait mit à mariner le midi dans sa mystérieuse boîte. Elle était destinée au déjeuner du lendemain mais il ferait autre chose à manger.
« Avec plaisir, ce n'est pas souvent que j'en ai l'occasion d'en boire ! »
Elle lui lança un sourire avant de terminer de faire cuire les Pierogi restants, qu'elle déposa dans une assiette avec du papier absorbant. Elle aimait le vin, comme l'alcool sans pour autant en boire à l'excès. Déjà parce que financièrement, elle ne pouvait pas se permettre d'abus, puis sa première expérience où elle s'était retrouvée totalement bourrée l'avait suffit largement. Elle n'était pas une sainte, des conneries de jeunesse elle en possédait une très longue liste. Elle avait simplement appris de ses erreurs, du moins pour certaines plus que d'autres.
« Tu as des talents culinaires. Dit-elle en regardant la boîte qu'il avait sortir du frigo. Ta gestuelle des doigts est moins bordélique que la mienne ! »
« Merci. Ce n'est pas grand chose, qu'une salade de choux marinés. »
Il déboucha et servit deux verres de vin, non sans vérifier que la bouteille était buvable au préalable. Yennefer l'avait observé lorsqu'il avait découpé le beurre, de simple détail le concernant, mais qui lui permettait d'en découvrir plus sur lui. Elle déposa le plat sur la table, avant de commencer à servir dans les assiettes pour finalement s'installer à table. Elle attrapa son verre, le regardant dans les yeux en souriant.
« A la tienne ! »
« A la tienne ! »
Il répondit à son sourire avant de prendre une gorgée de vin. Ne jamais reposer son verre avant d'avoir bu au moins une gorgée lorsque l'on a trinqué. Il ne savait pas d'où il tenait cette superstition mais c'était bien une des seules qu'il exécutait. Il posa ensuite son verre et s'attaqua à son premier Pierogi. Il resta un instant impassible, à mâcher sa bouchée, avant de laisser filtrer un léger sourire. Elle avait savouré la gorgée de vin, se disant qu'elle en avait encore bu des aussi bons que celui-ci. Son attention resta posée sur le jeune homme, voulant le voir goûter et avoir son avis avant de commencer son assiette.
« C'est très bon. Ta mère peut être fière de toi ! »
« Ouf, j'ai passé le test ! Dit-elle en plaisantant avant de poursuivre plus sérieusement. Merci. »
De nouveau un léger sourire avant de prendre une autre bouchée, avec une gourmandise certaine... Elle prit elle aussi une bouchée, son plaisir se dessina sur les traits de son visage. A cet instant, elle avait l'impression d'être la petite fille de sa jeunesse qui mangeait pour la première fois ce plat préparait avec tellement d'amour par sa mère. Il était pourtant simple, mais riche d'émotion pour elle.
« Cela ressemble aux gyosa alors ? Demanda-t-elle en prenant une bouchée de choux marinés. Putain c'est bon ça aussi ! »
Le jeune homme ne peut s'empêcher un sourire avant de répondre, calme et posé.
« En effet ça ressemble. Il n'y a que l'enrobage qui diffère vraiment. Et un peu la façon de préparer. Les asiatiques font beaucoup mariner les choses avant de les cuire, pour qu'elles prennent vraiment le goût. »
Elle n’avait jamais mangé de choux cuisinés de cette façon-là. Elle s'empressa de prendre une seconde fourchette en souriant.
« Toutes les nuits, tu les passes à vadrouiller dans les pavillons endormis ? Tu me diras, au moins on te fait pas chier comme ça... Un peu de silence, c'est ce qui manque dans la journée par ici... »
Yennefer avait encore du mal à s'y faire, surtout après ses quelques mois dans le Ranch de Jeffrey où l'agitation de la ville, de la population n'arrive jamais jusqu'à eux. Et pourtant, toute sa jeunesse elle a vécu dans le bruit agressant des grandes villes, des quartiers pauvres et sordides. Elle était habituée à ça, mais dès son plus jeune âge elle s'était aussi créé ses moments d'isolement, de silence pour ne pas exploser. L'académie pouvait ressembler à une immense fourmilière. Le coréen lui glissa un regard en coin et attendit quelques secondes pour répondre. De terminer sa bouchée d'une part mais aussi de rassembler ses idées et ses mots. S'il n'était qu'à la recherche d'un peu de silence, le monde entier ne saurait plus où le trouver, il se serait isolé au fin fond d'un désert tel un ermite pour le trouver, ce silence. Mais cela, la jeune femme ne pouvait pas le savoir.
« Plus ou moins... Je bosse, je fais du sport... Je m'occupe. »
« Mais tu dors quand sérieux ! »
« Avant, ou après. Je n'ai besoin que de quelques heures par tranche de vingt-quatre... »
Elle plissa légèrement les yeux, ses pupilles brillaient d'une grande curiosité autant que la sonorité de sa voix. Malgré que sa question avant un côté amusant par le sens qu'elle dégageait, presque enfantin vu l'importance que dormir représente pour elle. Il haussa les épaules et eu un semblant de sourire avant de boire une gorgée de vin, prenant le temps d'en apprécier le goût.
« Et toi qui dort d'habitude, qu'est-ce qui te tourmente pour que tu reste éveillé ? Peut-être que je pourrais t'être d'une aide quelconque, qui sait ! -il hausse des épaules Après tout, je t'en dois une. Tu as rattrapé mes points. »
Il garde son verre à la main et fixe son regard dans le sien après avoir gardé les yeux sur son verre pendant toute sa petite tirade. Il reste dans l'attente, calme, sans ne laisser paraître une once de curiosité ou quoi que se soit d'apparent. Il n'en éprouve pas vraiment en fait. De la bonté d'âme, prêt à donner son aide, oui, mais pas réellement de la curiosité. Après tout, elle pourrait refuser son aide et il respecterait ce choix. Elle avait gardé un instant le silence, terminant sa bouchée, mais lui lança un regard avant de se reposer sur son assiette.
« Quand on est jeune, on est con... J'en ai fait des conneries, plus ou moins grave, c'est bien pour ça que ma mère a déjà des cheveux blancs qui sont apparu... Et pourtant, elle est jeune ma mère. Sauf que forcément, avec certains personnes il est plus compliqué de couper définitivement les liens... »
Il ne pouvait que la comprendre, même s'il ne pouvait pas avouer ses propres délits. Il reposa son verre et attrapa de nouveau ses couverts, attendant la suite sans l’interrompre, de peur qu'elle ne change d'avis. Elle attrapa son verre, le terminant d'une traite comme si elle en avait besoin pour continuer son explication. Elle ne se forçait pas à parler, pourtant ce secret-là personne dans son entourage en avait conscience. Du moins, dans les détails... Quoi qu'elle ne savait pas si elle osait tout lui dire, demander de l'aider était une chose compliquée pour elle.
« J'ai fait l'autruche, pensant naïvement qu'une telle personne lâcherait l'affaire. Il ne comprend pas la définition du mot non. Donc, il s'amuse à faire pression. »
« Un maître chanteur... »
Il avait murmuré, plus pour lui que pour elle, perdu un instant dans ses pensées. Une fraction de secondes tout au plus. Cependant, il la regarda avec sérieux et calme, cherchant à apaisé son âme à elle. Oserait-il cependant faire des recherches sur elle ? Plus approfondies que le peu qu'il savait déjà ? Pour l'instant, il ne s'y était pas autorisé. Par respect. Mais si quelqu'un était à ses trousses... La donne n'était plus vraiment la même... Un sourire se dessina sur ses lèvres, il se voulait rassurant, plus vis-à-vis d'elle-même que de lui. Elle minimisait les risques, parce que les accepter voudrait dire qu'elle allait trouver une solution, solution qu'elle savait qu'elle serait compliquée à trouver pour le moment.
« J'aurai du suivre le guide pour devenir une princesse, règle numéro un tu évites le grand-méchant loup. Plaisanta-t-elle en reprenant une bouchée de son assiette. »
« Les contes de fées n'apprennent pas aux petites filles à devenir des princesses. Ils leur apprennent que les monstres peuvent mourir. »
Et d'ailleurs, récemment, que c'était elle-même qui pouvait les tuer...
« Tu veux que je le tue ? »
Si cela pouvait l'aider... Après les frères Iakimov, il doutait de se retrouver face à pire ennemi... Il avait cependant poser sa question avec tout le sérieux dont il faisait preuve depuis le début, comme si c'était le court normal de la conversation. A vrai dire, ne l'était-ce pas un peu pour lui ? Malheureusement. Elle s'étouffa avec sa nourriture face à sa question, surprise autant par ses mots que par le sérieux qui en ressortait derrière. Elle ne douta pas un seul instant qu'il était capable de mettre à exécution sa proposition. Elle se servit rapidement un verre de vin qu'elle avala aussitôt pour passer sa toux.
« Tu vas vraiment me faire passer par toutes les émotions possible ce soir... marmonna-t-elle en plongeant son regard dans le sien. Il n'en vaut pas la peine, c'est un mec perdu qui est tellement misérable. Cela serait du gachi de perdre une balle pour ça... »
« Il y a d'autres moy... »
Il suspendit sa phrase au milieu, se rappelant qu'elle avait failli s'étouffer. Inutile d'en rajouter et de lui faire définitivement peur. Il ne se le pardonnerait jamais.
« Excuses-moi. C'était juste une idée. »
Il haussa légèrement des épaules et reprit une gorgée de vin, la gardant un peu en bouche pour profiter de ses arômes avant de ré-attaquer son plat. Mentalement, elle ne pourrait jamais accepter une telle proposition, pas parce qu'elle se souciait réellement de la vie de son harceleur, mais parce qu'elle ne voulait pas que Kwaï' se salisse les mains. Des mains qui visiblement étaient déjà bien entachées de sang, bien que les détails elle ne pourrait jamais les imaginer. Était-elle choquée d'apprendre ça ? Est-ce que son regard envers lui avait à jamais changé maintenant qu'elle savait ça ? Non... Non, car elle a déjà connu des gens qui avaient des morts sur la conscience. Et que lui, malgré ça dégageait autre chose...
« Il ne peut pas m'atteindre physiquement, il va juste m'attaquer mentalement. Je dois juste prévenir ma mère, car c'est pour elle que je m'inquiète. Il possédait des images, je crois même une vidéo qui va forcément lui envoyer. Je préfère qu'elle soit préparée et qu'elle sache avant... »
Elle s'arrêta dans sa phrase, avalant difficilement sa salive pour finalement reprendre son repas. Il hocha doucement de la tête, la considérant un instant avec sérieux avant d'enfourner une bouchée.
« Très bien. Mais promets moi une chose : si ça tourne mal, promets moi de me tenir informé. »
« Promis » Dit-elle à bout de lèvres sérieusement.
Si les choses dégénéraient, il serait bien capable de faire le déplacement. De traquer et éliminer cet indésirable... Où qu'il soit dans le monde... Peu de gens arrivaient à lui échapper. Si ce n'était aucun... Mais cela, il se garda de lui dire, reprenant son plat en silence. Elle termina son assiette, qu'elle poussa légèrement en déposant ses couverts dessus. Son regard se tourna vers l'horloge murale, il était bientôt quatre heures.
« Cela va être compliqué de faire ton sport après ce repas-là... »
Il sourit doucement en terminant son plat et son verre. Ce n'était jamais compliqué pour lui de s'astreindre à sa gymnastique quotidienne. Et elle, maintenant qu'allait-elle pouvoir faire ? Si elle retournait dans son lit, le sommeil arrivera-t-il maintenant ? Elle sentait une légère fatigue, mais elle n'était pas totalement apaisée pour autant. Malgré qu'elle devait reconnaître une chose, ce repas, la présence de Kwaï' et cette discussion l'avait soulagée d'un poids. Pour le reste, elle avait la conviction qu'il partirait quand elle aura réglé cette affaire.
« Il y a quoi dans le coin pour s'occuper... »
« Et bien... »
Il réfléchit un instant, alors qu'elle se levait, récupérant les assiettes pour les glisser dans le lave-vaisselle. Sa question était à demi ton, elle ne savait pas s'il comptait rester ou s'il allait reprendre le cours de sa nuit. Autant elle n'avait pas un planning, mais lui il ne manquait pas d'occupation, voir des choses importantes à faire. Avait-elle le droit de manifester son envie qu'il reste ? Avait-elle le droit de lui imposer de rester... Il ne pouvait ignorer le ton dans sa voix ni sa gestuelle toute en retenue. Un fin sourire passa sur ses lèvres alors qu'il rebouchait la bouteille de vin et lui apportait les verres, à ajouter au lave-vaisselle.
« Je te laisse deux choix en ma compagnie : soit tu viens avec moi à la salle de sport -parce que je compte bien ne pas louper ma séance du jour, même si je dois la reportée- soit tu te laisse faire et on essaie mon remède pour trouver le sommeil sur toi. Je n'ai pas d'autres propositions. »
C'était désormais à elle se faire son choix, il s'adapterait en conséquence... Il haussa légèrement des épaules et lui servit un sourire en coin. Cette fois, la curiosité piquait son regard, parce qu'il n'avait aucune idée du choix qu'elle allait faire. Un sourire s'afficha sur ses lèvres face à ses deux propositions, il l'avait piqué net dans sa curiosité.
« Si on va dans la salle de sport, j'ai la sensation que je ne pourrais pas uniquement faire ma larve dans un coin en te regardant... Tu vas vouloir voir à l’œuvre mon talent sportif ! »
« C'est certain. »
Elle lui lança un regard amusé avant de poursuivre.
« Et là, tu m'intrigues avec ton remède ! Je prends l'option deux ! » Dit-elle en souriant.
« Très bien ! Dans ce cas, on a une petite étape ici avant de monter au premier. »
Il haussa des sourcils, appuyant le mystère et se dirigea vers le placard de nourriture. Il sorti une petite bouteille de lait, qu'il versa dans une casserole. Il mit le tout sur le feu, et farfouilla pour trouver une boule à thé et des clous de girofle. Il mit quelques clous dans la boule avec un brin de thym et laissa le tout infuser dans le lait encore froid. Il sorti deux tasses en attendant et une tablette de chocolat qu'il réduisit rapidement en petits carrés. Une fois le lait chaud, il jeta le chocolat dedans et tendit une cuillère en bois à la jeune femme.
« Touilles. Pour ne pas que le lait brûle. »
Il la laissa faire, mettant une généreuse cuillère de miel au fond de chaque tasse ainsi qu'un bouchon de brandy. Une fois le chocolat entièrement fondu, il ajouta un peu de crème épaisse et remua encore le tout avec délicatesse avant de remplir chaque tasse. Il jeta le contenu de la boule à thé et mit le tout au lave-vaisselle. Une cuillère dans chaque tasse et il emporta le tout.
« Aller viens. Tu éteins derrière nous ? »
« Oui ! »
Il grimpa dans la relative pénombre du hall les grandes marches de pierre pour entrer dans le salon à pas feutrés. Elle s'empressa de le suivre de près, évitant de justesse de s'agripper à son vêtement, car elle avait du mal à se déplacer dans cette pénombre. A cette heure là et comme toujours au beau milieu de la nuit -il en savait quelque chose- il n'y avait personne dans la grande salle chaleureuse. Il confia les tasses à la demoiselle non sans omettre de lui recommandé d'y faire attention d'un sourire moqueur et entreprit de déplacer la table basse et tourner un canapé face à l'âtre de la cheminée. Il ajouta une petite console de chaque côté du canapé pour qu'ils puissent poser leurs tasses et mit la table basse hors d'atteinte des braises sautillantes mais sans pour autant leur empêcher de poser les pieds dessus. Le feu de la veille était presque éteind, quelques braises subsistaient. Il aurait moins de mal à le rallumer.
« Installe toi. Tu vas voir, c'est presque divin. »
Elle était restée silencieuse, l'observant faire avec curiosité, mais surtout étonnement au fur et à mesure. Elle ne s'était pas attendue à ça, à voir cette facette qui se dessinait petit à petit devant elle. Quelques minutes avant, il lui proposait de tuer quelqu'un, dans la normalité la plus totale. Et maintenant, un côté plus doux s'exprimait devant elle. Il était une énigme vivante. Elle s'était tranquillement installée sur la canapé, soupirant légèrement d'un plaisir certains. Il sorti un grand plaid pelucheux d'un coffre et s'attaqua à faire reprendre le feu de la cheminée, laissant la jeune femme s'installer dans le canapé confortable. Une fois le feu reparti, il prit place à côté d'elle, s'installant sous le plaid chaud et prenant sa tasse pour en goûter une gorgée. C'était sucré et parfumé. Parfait pour son problème de sommeil. Bien qu'il ne sache pas si cela allait fonctionner sur elle. Cependant, lui-même avait toujours un peu de mal à lutter face à la combinaison du chocolat chaud et du feu hypnotisant, bien installé dans un canapé aussi moelleux. Elle avala une gorgée du breuvage, qui était affreusement bon et elle ne s'empêcha pas de le manifester par un son sonore.
« Et voilà... Tu n'as plus qu'à te laisser bercer par le ronronnement du feu, la chaleur qu'il dégage, le lait chaud dans ton estomac et si tu le souhaite, je peux même te raconter une histoire... »
Oserait-il jouer le rôle d'oreiller humain ? Il n'avait pas encore assez de cran pour le proposer, aussi il s'abstient, sans pour autant écarter cette possibilité... Son regard se posa sur lui, l'observant avec attention. Il lui jeta un bref regard avant de poser celui-ci sur les flammes vacillantes en buvant son chocolat chaud.
« Tu es... indescriptible. Je n’ai jamais rencontré un mec comme toi. Dit-elle avec une sincérité absolue et empreint d'un compliment. Et putain que j'aime ton remède ! »
« Merci. C'est un beau compliment. »
Son regard se tourna vers la cheminée, observant les flammes qui dansaient en crépitant. Elle replongea un instant ses lèvres dans la tasse avant de marmonner.
« J'aimerais bien entendre une histoire... »
Un petit sourire passa sur ses lèvres et il bu une longue gorgée de son chocolat avant de l'abandonner sur la console à côté de lui. Il s'enfonça un peu plus dans le molleton des coussins et prit une légère inspiration.
« Très bien. Dans ce cas, je vais te raconter celle que je connais le mieux. »
La mienne... pensa-t-il sans le lui avouer. Il prit une voix grave et monotone, et parlait juste assez fort pour couvrir les craquements du bois dans le feu. Dans le silence qui régnait autour d'eux, c'était largement suffisant. Il gardait le regard fixé sur le feu dansant, adaptant également ses phrases aux murmures de ce dernier, pour qu'il ponctue son histoire plus qu'il ne la dérange. Il parlait lentement, en prenant son temps...
« Il était une fois, il y a de cela quelques années maintenant, naissait, au cœur de Séoul, un petit garçon. Bien que ses parents eurent un modeste foyer à la campagne, il était très attendu au sein de cette petite famille. Son père travaillait dans le centre de Séoul. Il travaillait dur et tard, mais c'était un homme aimant et d'une grande gentillesse. Il avait cependant un défaut : il était passionné. Passionné à son extrême. Passionné par les courses de chevaux... Mais ses moyens très peu élevé ne lui permettaient pas de jouer autant qu'il le désirait, ce qui lui donnait un air quelque peu frustré lors des jours de courses. Cependant, il éleva son fils avec justesse et droiture. S'attachant à lui transmettre de nombreuses valeurs indispensables pour un gentleman. Sa mère elle, d'une santé fragile, ne travaillait pas et restait à la maison pour s'occuper de son fils. Elle était souvent accablée de fatigue, mais elle faisait de son mieux pour ne pas le montrer. Alors que le petit garçon eu trois ans, vint au monde sa petite sœur. Elle aussi était très attendu par la famille, et elle fut très aimé. »
Il fit une légère pause, comme s'il arrivait à la fin d'un chapitre et tournait la page...
« Les deux enfants grandirent dans la simplicité mais entouré de l'amour de leurs parents. Quelques années passèrent dans une relative tranquillité. Leur mère allait mieux et avait même décidé de travailler quelques jours par semaine afin de soutenir leur famille. En échange de quoi les deux enfants avaient un comportement exemplaire à l'école. On ne pouvait rien leur reprocher. Un jour de printemps, alors qu'il rentrait d'une longue balade avec sa sœur, le petit garçon trouva sa mère emplie de désespoir, assise à la table de la cuisine. Son père en revanche, rayonnait de bonheur. Il s'avérait qu'il avait gagné une jument de course en jouant aux cartes et il avait ramené la jument à la maison. Elle était très belle et très jeune, mais elle était taillée pour la course. Ils trouvèrent un champs à louer et lui construisirent un abri. Durant une année entière, le père et le fils se consacrèrent au débourrage de la petite jument. Le père transmettait à son fils toutes ses techniques, toute sa passion. Avoir son propre cheval de course était l'un de ses plus grands rêves et le voilà qui se réalisait. Il ne pouvait espérer mieux, malgré les difficultés financières qui vinrent s'ajouter à leurs soucis. Mais qu'importe, il tenait entre ses mains le rêve de toute sa vie... »
De nouveau il fit une légère pause et jeta un œil discret à la demoiselle, pour voir dans quel état elle était. Elle était attentive, captivée, buvant avec lenteur son chocolat chaud pendant que son regard contemplait les flammes dans la cheminée. Il poursuivit ensuite avec la même douceur.
« Arriva le moment crucial où il fallait monter la jument. Le père ne le pouvait pas, il était trop grand et trop lourd. Mais son jeune fils avait tout du jockey de course. Il était assez léger et assez petit pour ne pas faire de mal au dos de la jument et la faire courir. Le garçon monta donc la jument, apprenant en même temps les rudiments de l'équitation. Il s'entraîna chaque soir en revenant de l'école et après avoir fait ses devoirs, ainsi que chaque week-end. Qu'il pleuve qu'il vente ou qu'il neige, il était à cheval. Sa mère s'inquiétait pour lui et sa santé fragile en pâtissait également. Mais elle tenait bon et continuait de s'occuper de son foyer et de ses enfants, comme elle l'avait toujours fait. Ainsi, le garçon couru sa première course. Il la perdit, provoquant le déception de son père, mais autant l'un que l'autre ne lâcheraient l'affaire. Ils continuèrent l’entraînement et les courses. Ils arrivaient souvent sur le podium et les gains que leur rapportaient la jument lui permettait de s'entretenir seule. Mais pour leur mère, ce n'était pas suffisant. D'autant plus que le garçon commençait à devenir trop grand pour courir. Trop lourd... Ils enchaînaient les défaites quand un éleveur se présenta à eux. Il souhaitait racheter la jument. Cela fendit le cœur du père, mais ils n'avaient plus le choix. Ils ne pouvaient continuer ainsi plus longtemps. Il vendit la jument à bas prix, en échange d'une promesse : celle qu'on lui donne le premier né de la jument bai, issu d'un croisement pure race avec un cheval de course. L'éleveur accepta le marché, trop content de cette transaction dont il était l'unique gagnant. Ils attendirent une longue année avant que l'éleveur ne les recontacte : la jument allait donner naissance à son premier poulain, issu d'un étalon de course. Il leur livrerait au sevrage. Le père sautait de joie et retrouvait du baume au cœur, ce qui ravi toute la famille. Ainsi, ils patientèrent six longs mois, avant que n'arrive le tout jeune poulain... »
De nouveau il fit une légère pause, avant de reprendre un ton plus bas.
« Comme ils l'avaient fait avec la jument, ils débourrèrent le jeune étalon fougueux dont ils avaient hérité. Cette fois, le père laissa faire le fils, pour qu'il prenne de l'expérience. C'est également lui qui débourra l'étalon à la selle et qui lui fit courir ses premières courses. Le jeune étalon se montrait bien plus prometteur que sa mère : plus combatif, plus vif, plus rapide. Il gagna sa première course à deux ans, mais rapidement, ils durent se rendre à l'évidence, le garçon était trop lourd pour lui, malgré son jeune âge. Par contre, sa petite sœur elle, avait le gabarit parfait. Malgré le refus premier de leur mère, la petite fille monta sur le fougueux étalon et, sous les conseils avisés de son frère et de son père, elle s'entraîna avec le grand étalon bai. Elle su tout de suite montrer au grand jour tout le potentiel de l'étalon et elle commença les courses rapidement. Elle enchaînait les victoires sur des distances de plus en plus longue... Elle était tellement douée que le père décida de l'inscrire sur des courses de haie. Plus dangereuses certes, mais avec plus de gains. Le couple se montra tout aussi efficace, si ce n'est plus, sur les haies que sur le plat, enchaînant les victoires... Le père fut approcher de nombreuses fois par des éleveurs ou de riches marchands, pour racheté l'étalon ou e serait-ce qu'avoir une saillie. Mais il refusait toujours, préférant attendre que l'étalon prenne sa retraite sportive... De la valeur... »
Sa voix avait progressivement baissé, n'étant presque plus qu'un murmure à la fin. Le feu ne crépitait plus mais ronronnait doucement, distillant une chaleur agréable. Il était presque sur le point de s'endormir, bercé par ce tout apaisant. Il arrivait également au point de l'histoire qui tournait à la tragédie... Il se garda donc de lui raconter cette partie, et maquilla le reste de l'histoire pour la rendre plus heureuse.
« Et c'est ce qu'il fit. Plus il courrait, plus il prenait de valeur, donnant à toute la famille l'espoir qu'un jour, ils n'auraient plus à s'inquiéter du lendemain, et de ce qu'ils allaient devenir... »
Ce qui était en parti vrai... Ils n'avaient plus à se soucier de ce qu'ils allaient devenir désormais... Elle pencha doucement la tête sur le côté, la posant sur l'épaule de Kwai en s’emmitouflant davantage dans le plaid et le canapé. La chaleur avait alourdie ses paupières.
« Merci... » Murmura-t-elle à bout de lèvres avec émotion.
Son remerciement, pourtant simple possédait de nombreuses significations forte pour elle. Au fond, ces nuits-là elle les avait toujours appréhendées sans jamais se l'avouer. Sa présence, son écoute l'avait apaisé bien plus qu'elle ne l'aurait cru. Et cet instant risquerait de laisser des traces, surtout son histoire qui sonnait comme un écho du passé... De son passé probablement, bien qu'elle ne pouvait pas tirer de conclusion trop hâtive. Comme de la fin... Avait-elle réellement été heureuse ? Des questions qu'elle ne poserait pas ce soir, le moment était trop serein, magique pour ça. Elle finit par s'endormir contre lui. Le coréen resta éveillé, veillant sur son sommeil, espérant éloigner, par sa présence, les ombres menaçantes de sa nuit. Il attendit avec patience un cycle complet de sommeil, pour ne pas risquer de déranger son sommeil profond, avant de s'extirper le plus délicatement possible et prendre la jeune femme dans ses bras, emmitouflée dans le plaid. Le ciel commençait à s'éclaircir à l'est, il ne devait plus être très loin de six heures... Peu importait. Ne sachant pas où était sa chambre, il la déposa avec délicatesse sur son lit, veillant à ce qu'elle soit bien recouverte par le plaid. Quant à lui, il prit place sur le fauteuil molletonné de sa chambre. Les bras sur les accoudoirs, les jambes croisées devant lui, la tête appuyée sur le dossier, il se laissa aller à quelques courtes heures de sommeil, observant la lente progression de la lumière dans le ciel encore sombre. Voilà bien longtemps qu'il n'avait pas agit de la sorte. L'avait-il simplement déjà fait ? Oui... Pour sa petite sœur, quand il n'était encore qu'un gamin... Mais depuis, il en doutait. Il distillait peu de marques d'affection. Les autres savaient qu'il les aimait grâce aux services qu'il leur rendait, à sa présence dans les moments les plus durs de leurs vies, à ses brèves attentions. Futiles pour eux, extravagantes pour lui... Que lui arrivait-il donc ? Son esprit tourmenter par ces dizaines de questions l'éveilla puis avant le réveil. Il jeta un dernier regard à la demoiselle endormie, attendrie par cette confiance qu'elle lui accordait. Elle ne le devait pas. Il était trop dangereux pour elle. En témoignait ses réactions ce soir, sur diverses questions... Non... C'était trop dangereux. Pour elle. Il prit une difficile inspiration, la gorge nouée et griffonna un mot à son intention. Il la remerciait pour son plat et lui souhaitait une excellente journée, lui rappelant, à demi-mot, la promesse qu'elle lui avait faite de le prévenir en cas de difficulté. Ce après quoi il s'éclipsa au moment où le soleil perçait au dessus des arbres. Il décida que c'était un bon matin pour courir et s'élança à petites foulées sur les chemins entourant le Haras, se vidant la tête au possible, sans vraiment y parvenir...
Elle s'était glissée à l'extérieur de la chambre, attrapant un peu au hasard ses vêtements ainsi que son manteau à l'aveuglette. Vu l'heure, elle risquait de croiser personne dans les couloirs ni dans les salles communes du Pavillon Nord.
« BORDEL SA PUTE ! J'aurais dû embarquer ma couette... C'est quoi ce pays de merde, où tu te gèles le cul ! » S'exclama-t-elle avec spontanéité à peine dehors.
Elle courut littéralement vers le pavillon, continuant à cracher ses mots pour maudire les températures hivernales de la nuit. Il fallait dire qu'elle avait oublié de prendre un pull, que malgré son manteau son T-shirt était fortement léger sur sa peau. Le soulagement se dessina sur les traits de son visage quand elle entra dans le bâtiment, accueillant avec joie la chaleur de celui-ci. Yennefer se dirigea vers la cuisine, lieu où elle allait rarement seule. Elle chercha un instant l'interrupteur de la pièce avant de se jeter sur les placards.
« Espérons qu'il y a de quoi cuisiner... que je ne sois pas sortie pour rien, cela me ferait bien chier en plus de ne pas dormir. »
Un sourire ne tarda pas à s'installer sur ses lippes, elle allait pouvoir préparer son plat, la spécialité polonaise de sa mère. Ce n'était pas de la gourmandise, mais ce plat était l'unique remède qu'elle possédait à ce jour pour calmer ses tourments, pour faire taire ses pensées. Et ce soir, elle avait besoin de ça. Ainsi, elle entreprit de sortir les ustensiles dont elle avait besoin, ainsi que les ingrédients. Naturellement, se pensant seule dans le bâtiment, elle se mit à chantonner des comptines de son enfance, se replongeant dans ses vieux souvenirs. Le coréen regarda sa montre avec une certaine absence dans le regard. Il aperçu l'heure qu'elle affichait sans la voir mais ne replongea pas pour autant son regard sur elle. Il soupira, répondant au mail de Calum en essayant de ne pas s'énerver. Le garçon ne le verrait pas à travers ses lignes mais il ne voulait pas paraître trop dur dans le choix de ses mots. La page Iakimov était tournée, mais ce n'était pas pour autant que ses tourments avaient disparus eux aussi. Ils étaient en sourdine, pour un temps. Un jour, les problèmes reviendraient. Mais ce jour n'était pas encore arrivé. Quand il termina de taper sa réponse, il posa de nouveau les yeux sur l'horloge de son ordinateur : presque une heure du matin. Qu'allait-il faire ? Se coucher ? Non... Jamais aussi tôt. Mais à cette heure-ci, le Haras entier devait l'être. Ou alors, ceux qui n'étaient pas coucher étaient en ville et donc, pas ici. Il pouvait rejoindre la salle de sport du sous-sol du Manoir en toute tranquillité. Il troqua donc son jean contre un pantalon ample noir et passa un sweat par dessus son t-shirt noir. Une paire de chaussette et il enfila prestement ses baskets avant de fourrer dans la poche de son sweat le minimum vital : ses clés et son téléphone. Il n'avait besoin de rien d'autre. Il sortit ensuite, prenant la direction du Manoir d'un pas vif.
Prague était presque sous la neige. L'air glacial de la nuit sentait la neige, même si elle n'était pas encore tombée. Se serait pour peu de temps. Quelques jours sans doute... A la prochaine tempête. Une perspective qui ne l'enchantait guère : sa corvette n'aimerait pas la neige, il le savait. Et bien qu'il sache parfaitement conduire sur la neige et le verglas, il préférait s'abstenir au possible. Cette constatation lui arracha un soupir et lui fit presser le pas. Il n'avait pas envie de rester dans ce froid glacial plus longtemps. En entrant dans le hall cependant, il fut surprit de voir de la lumière émaner de la cuisine. Il fronça un instant les sourcils et écouta. Un chantonnement accompagnait des bruits de cuisine. Qui pouvait bien s'activer à une pareille heure de la nuit ? A part lui, peu de cavaliers au Haras se montrait insomniaques. Il s'avança donc à pas de loup jusqu'à l'embrasure de la porte ouverte et s'arrêta sur le seuil, jetant un oeil discret. Un fin sourire se plaqua sur ses lèvres quand il la reconnu et il glissa les mains dans la poche centrale de son sweat en silence. Il resta ainsi, sans bouger, durant un long moment, observant la jeune femme sans rien dire. Elle avait quelque chose d’intrigant. Quelque chose qui l'attirait sans qu'il ne sache vraiment ce que c'était. Il n'avait pas l'habitude de ce genre d'attirance pour quelqu'un. Il faisait rarement confiance aux gens. Mais elle avait su gagner sans trop le savoir sa confiance, ou du moins une bonne partie. Elle était assez franche pour lui dire les choses, ne pas les lui cacher, et c'est sans doute une part de ce qui faisait qu'il sentait qu'il pouvait compter sur elle... Dans une certaine mesure bien sûr. On ne perd pas ses habitudes aussi facilement... Surtout lui...
« Oignon... Oignon... Comme s'il n'allait pas assez me faire chialer en le coupant, je vais mettre dix minutes à en trouver un... »
Elle claqua légèrement la porte d'un placard avant d'ouvrir le suivant, où elle en trouva un finalement derrière le sac à pomme de terre. Elle marmonna vaguement quelque chose en polonais dont la sonorité ne pouvait signifier que son contentement de l'avoir trouver. Elle le posa sur le plan de travail, pour s'armer ensuite d'un couteau. Ses gestes n'avaient rien d'expert dans les mouvements, elle découpait de manière assez grossière l'oignon. Cependant, son regard était concentré à sa tâche, elle mettait du cœur à l'ouvrage. Yennefer renifla bruyamment en tentant de retenir ses larmes, des injures ne tardèrent pas à se manifester pendant qu'elle s'activait pour terminer rapidement.
« Tâche ingrate faite ! La suite... »
Elle reprit sa mélodie en mettant de l'huile dans une poêle avant d'y jeter l'oignon ciselé pour le faire suer. Le crépitement ne tarda pas à chantonner à son tour, dans son élan elle continua à s'activer dans la préparation de la farce. Le sourire ne quittait pas le visage du coréen, franchement amusé par le comportement de la jeune femme. Elle se pensait seule. Pas l'ombre d'un instant elle n'avait sentit sa présence. Cependant, il resta concentré, immobile, dans l'attente. Il ne savait pas s'il devait intervenir ou pas. S'il intervenait, il brisait ce petit spectacle, jusqu'à ce qu'elle le repère. S'il brisait sa bulle, il perdait également la possibilité de s'éclipser aussi silencieusement qu'il était arrivé. S'il partait maintenant, jamais elle ne saurait qu'il l'avait observé ainsi... Sauf s'il le lui avouait. Mais d'un autre côté, il ne pouvait s'empêcher de rester planter là. Spectateur silencieux d'un morceau de sa vie. Sans le regard des autres, les gens se comportaient différemment. La plupart en tout cas. Il ne faisait pas parti de ceux là. Il faisait toujours comme si un regard se posait sans cesse sur lui. Mais Yennefer n'en faisait manifestement pas parti. Bien qu'elle ne semble pas différente de tout les jours, il y avait quelques petits changements. Elle était toujours aussi franche, mais elle laissait aller ses colères, ses frustrations et ses doutes. Cela se voyait dans ses gestes, dans sa concentration. Venait-elle cuisiner pour occuper son esprit ? S'occuper les mains pour se vider la tête était courant. Certains faisait du ménage, d'autres du sport, d'autres encore cuisinaient, ou dessinaient sur une toile... Faisait-elle parti de ces gens là ? Qu'est-ce qui pouvait bien l'empêcher de dormir au point qu'elle vienne s'occuper les mains en plein milieu de la nuit ? Autant de questions qui resteraient sans réponses tant que le coréen ne les poserait pas. Et quand bien même, il n'était pas certain d'en connaître un jour le fond... Il avait beau savoir beaucoup de choses, il n'en était pas pour autant un Dieu ou un devin. Encore moins un télépathe. Malgré tout, pendant qu'il se posait toute ces questions et spéculait sur la demoiselle, elle poursuivait sa préparation et il restait immobile, dans l'encadrement sombre de la porte, à attendre, avec patience, grappillant, seconde après seconde, des informations, toujours un fin sourire sur les lèvres et le regard amusé. Jamais il n'avait été aussi expressif... Jamais il ne l'était plus qu'en sa compagnie...
Yennefer versa le contenu de la poêle dans un récipient qu'elle déposa sur le côté, avant de la jeter dans l'évier. Puis elle se dirigea vers le frigo, en ressortant deux œufs quand soudainement elle se figea nette. Une ombre, difficilement distincte dans l'encadrement de la porte, cela ne pouvait pas être le reflet de la lumière. Sa réaction fut immédiate, malgré le ton vibrant de sa voix.
« Sors rapidement de là ou je te balance un œuf dans la gueule ! Je te préviens je sais très bien visée ! »
Peut-être était-elle entrain de se faire des films toute seule. Peut-être qu'il y avait personne derrière cette porte. Dans le pire des cas, elle était entrain de parler toute seule et elle risquerait seulement de balancer un œuf sur le mur. Car aucun doute qu'elle allait balancer l'un de ses œufs dans pas longtemps. Le coréen retint un rire et s'avança d'un pas léger, laissant un filet de lumière tomber sur ses épaules. Elle avait mit un certain temps, mais elle avait finalement repéré sa présence. Il ne s'était pas caché à vrai dire. Il était simplement resté dans l'ombre. Elle poussa un soupir de soulagement quand elle le vit apparaître à la lumière, ne cherchant même pas à masquer sa réaction. De toute façon, la légère panique quand elle avait vu l'ombre s'était inscrite sur les traits de son visage. Elle n'allait pas nier qu'elle a eu peur sur le moment, même si elle n'avait pas hurlé comme la plupart des gens.
« Ne gâche pas tes œufs pour moi. Se serait dommage. »
« Bordel... J'ai vraiment manqué de te le balancer cet œuf... »
Il lui adressa un fin sourire et attendit quelques secondes de jauger sa réaction. En d'autres termes, allait-il être congédié ? Ou invité à rester... Elle les déposa sur la table, avant de se tourner pour récupérer un saladier.
« Il y a vraiment que toi pour te fondre ainsi dans l'ombre. Marmonna-t-elle avec un sourire. »
« Je n'en doute pas un instant. »
Il répondit à son sourire et s'avança plus avant dans la cuisine. Il attrapa un tabouret haut et s'assit à califourchon dessus, pour pouvoir faire reposer ses bras sur le dossier de ce dernier. Elle ouvrit un paquet de farine qu'elle versa dans le récipient, jaugeant vaguement son contenu avant de reposer son attention sur Kwai. Elle prit le temps de l'observer, notamment sa tenue qui l'avait agréablement surprise au début. L'avait-elle vue une seule fois vêtue ainsi ? Elle s'était doutée qu'il devait pratiquer un sport au vu de sa carrure, mais elle s'était souvent posé la question. Quand le faisait-il ?
« Tu fais ton sport la nuit habituellement ? »
« Cela dépend des nuits... Mais oui. Plus habituellement un peu plus tard, entre trois et quatre heures. »
« Mais... tu dors quand ! jura-t-elle d'étonnement. Je suis entourée d'oiseau des nuits... »
Il sourit mais ne répondit rien. Cependant, il n'allait pas lui mentir. Il passait la plupart de ses journées en jean ou en culotte de cheval. Il était rarement en public en tenu de sport et encore moins en costume. Et il dormait peu. Travailler son corps la nuit entretenait aussi la légende... Le mythe... Le mystère qui l'entourait. Et c'était ce qui faisait non seulement sa renommé mais aussi une part de sa protection, alors il n'allait pas changer ce fait. Quelques uns le connaissaient vraiment et Yennefer était en train d'en faire parti, jour après jour. Jusqu'à quel point ? Il ne le savait pas encore. Elle avait eu la décence de ne poser aucune question, de n'émettre aucun jugement quand à son sale état de leur première rencontre alors il la laissait entrer peu à peu dans son monde, pousser par la curiosité ; où cela allait-il le mener ? Pas à sa perte... Ou tout du moins, il l'espérait...
« Et toi, tu cuisine toujours aux alentours de minuit ? »
Un sourire en coin, moqueur, se dessina sur ses lèvres, rapidement, avant de laisser place à sa neutralité habituelle. Des filets d'expressions qu'il s'autorisait, en sa présence seule, en de rares occasions... Elle éclata de rire avant de lui répondre tout en cassant les œufs qu'elle verra dans le saladier.
« Non, moi j'aime dormir et faire ma putain de marmotte dans mon lit généralement. Dit-elle amusée. »
Il pouvait lui arriver de traîner dans son lit lors des matinées où son planning lui permettait de le faire. Ce n'était pas vraiment de la paresse, vu qu'elle ronchonnait rarement pour se lever, du moins de manière sérieuse et sincère. Car, il lui arrivait régulièrement et depuis sa jeunesse de faire chier son entourage avec ça. Elle n'avait pas honte d'aimer glandouiller dans son lit, ni même de faire partir des gens qui dorment un bon quota d'heure chaque nuit. Le coréen écoutait en silence, attentif à ses gestes et à ses paroles, entrant dans cette bulle de lumière au cœur de la nuit avec tout le naturel dont il était capable.
« Tiens, tu veux bien me couper le beurre en morceau ? »
Elle lui glissa une plaquette de beurre ainsi qu'un couteau avant d'aller récupérer un verre d'eau. Il acquiesça et se mit à l'ouvrage en silence, concentré plus sur ses paroles que sur sa tâche. Mais en un rien de temps, il avait débité le beurre en petites cubes réguliers. Une fois sa tâche accomplie, il reposa le couteau à côté du beurre et repoussa tout doucement la plaquette vers elle.
« Morphée n'avait pas envie de m'amener avec lui au pays des rêves cette nuit... C'était soit cuisiner, soit proposer un jeu de cartes à Jeffrey... Mais je pense qu'il m'aurait assommé direct si je l'avais réveillé... »
Il l'aurait surtout assommer de questions, et certaines périodes de sa vie elle ne pouvait pas les lui dévoiler. Pas qu'il ne pouvait pas les entendre ou les comprendre, mais parce qu'elle n'avait pas envie qu'il sache à quel point sa jeunesse n'a pas été facile. Il n'était pas naïf, il savait des choses de par sa mère, et elle souhaitait que cela en reste-là.
« A esprit préoccupé l'on trouve quelque chose à faire... »
Il avait murmuré cette phrase, mais assez fort pour que la jeune femme l'entende. Il fixa son regard sur son visage, tentant d'y lire ses secrets, en vain. Comme presque toujours. Elle lui répondit d'un sourire qui en disait long sur ses pensées. Elle n'avait pas besoin de détailler pour le moment, il avait compris l'essentiel.
« Et qu'as-tu décidé de cuisiner pour oublier tes tourments ? »
« Quelque chose que tu as probablement jamais mangé... Dit-elle avec un regard amusé avant de poursuivre. Des Pierogi ! »
Une pointe de curiosité dans le regard. Pas de sourire, pas d'amusement. Il restait impassible, comme il l'était toujours, comme elle ne le connaissait que peu. Avec elle, il avait dès le début était bien plus expressif qu'avec les autres. Une dureté qu'elle ne lui connaissait pas encore. Mais une facette de sa personnalité qu'elle devrait bien apprivoisé un jour... Si elle le voulait. Elle ne semblait pas perturbée par son manque d'expression soudainement, gardant elle-même un sourire aux lèvres en commençant son explication.
« C'est un plat typique Polonais, c'est en fait l'unique plat que ma mère a su m'apprendre à cuisiner. Le reste, il faut généralement avoir la dalle pour les manger dans sa totalité. »
Yennefer n'avait jamais eu la patience pour la cuisine, ce n'était pas quelque chose qui l'intéresse réellement. Elle aime bien mangé, n'est pas très difficile à contenter, mais elle a tendance à laisser la lourde tâche de la réalisation des plats à quelqu'un d'autre. Limite, elle peut donner un coup de main, mais sans être la chef des fourneaux. Le coréen sourit et la laisse poursuivre ses explications, attentif.
« C'est une sorte de ravioli à la viande ou à la purée de pommes de terre... En fait, ma mère a tendance à les mettre à toutes les sauces. »
Elle commençait à mélanger la farine après avoir versé les derniers ingrédients dans le saladier. Son regard avait tendance à se poser vers Kwaï', faisant machinalement les gestes pour pétrir la pâte qui se formait doucement entre ses doigts. Le jeune homme la laisse faire un moment avant de hausser doucement des épaules.
« En fait, c'est comme des gyosa mais avec une pâte à base de blé au lieu d'une pâte à riz. »
« J'en ai jamais mangé donc je ne pourrais pas te dire. Il faudra que je goûte à l'occasion. »
Il pose sur elle un regard attentif mais sans pour autant y faire passer une émotion. Cependant, la regarder faire ainsi commence à lui donner faim. Il a dîné il y a quelques heures maintenant et quelque chose à se mettre sous la dent ne lui serait pas de refus.
« Et tu pense que t'en as encore pour longtemps ? Ou se sera vite prêt ? »
Un regard plein d'espoir se pose dans celui de Yen, qu'il croise régulièrement durant sa préparation. Elle semble concentré sur sa tâche mais attendre quelque chose de lui, à le regarder si souvent... A moins qu'il ne se trompe. C'est d'ailleurs ce qu'il choisi comme option et ignore ces regards réguliers. Elle éclata de rire, vibrant d'un amusement sincère et spontané.
« Toi, tu as faim ! Dit-elle encore sous l'éclat de son rire. »
« Oh non ! Je suis découvert... »
Il mima un geste offusqué mais sourit en réponse à son rire, avant de reprendre son observation. Elle devait bien avouer que le regard qu'il lui avait lancé avait quelque chose de touchant. Et que sa gourmandise avait parlé pour lui, un détail qu'elle venait à l'instant de découvrir, elle n'aurait pas cru. Elle venait de terminer avec la pâte, récupérant un rouleau pour l'étaler sur le plan de travail.
« Si tu m'aides à les mettre en forme, il manque plus qu'à les faire cuire et c'est prêt. »
« Ok. Va pour le coup de main. »
Son sourire ne semblait pas vouloir quitter ses lèvres, elle lui tendit l'emporte pièce qui ne devait pas lui être inconnu vu qu'il permettait de faire des raviolis. Elle ne serait pas étonnée que ce type de moule à l'identique soit utilisé pour différente recette. Il se leva et prit place à côté d'elle, se mettant rapidement au travail pour découper la pâte en disques réguliers qui seraient garni de farce et refermés.
« Moi qui me demandait comment j'allais pouvoir tous les manger... Finalement, tu tombes à pic, malgré la mini-crise cardiaque que j'ai manqué de faire à cause de toi ! » Plaisanta-t-elle.
« Moi ? Je t'ai fait peur ? Non... »
« Tsss ! »
Il secoua négativement de la tête, faisant mine de ne pas y croire. Il retrouvait un peu d'expression qu'elle lui connaissait mieux. La faim sans doute, le poussait à cela. Elle lui montra vaguement comment s'y prendre, mais comme avec le beurre sa gestuelle des doigts était beaucoup plus professionnelle que ses propres gestes à elle. Faisait-il régulièrement la cuisine ? Quel genre de plat... Elle était curieuse de savoir, et c'était une question qu'elle lui poserait un jour. Il la laissa le guider, non sans un fin sourire amusé qu'il cacha bien vite derrière son masque de sérieux et de concentration.
« Tu veux un accompagnement avec ou seulement tes Pierogi ? »
« Avec de la salade, cela passe bien ! Puis vu la farce qu'on met dedans, cela te tient bien le bide. »
« Parfait. »
Ou alors une sauce ? Mais cela dépendait de la cuisson, qui les rendrait plus ou moins sec... Se serait aux talents de sa cuisinière du jour ! Et il allait bientôt les découvrir, ces talents... Elle était en train d'allumer la gazinière, mettant une casserole remplie d'huile sur le feu avant de les faire cuire.
« Tu auras le droit de recracher si ce n'est pas bon hein ! »
Il eu un petit rire. Comme s'il allait réellement recraché son plat... Il en doutait très franchement. Mais il ne se permit aucun commentaire, se contentant d'un très léger haussement d'épaule. Il attendait de voir en somme. Elle était curieuse d'avoir son avis sur sa cuisine, même si elle appréhendait un peu. L'unique personne qui avait eu le privilège de goûter à ses plats était sa mère. Et elle ne pouvait pas vraiment dire que son point de vue était sincère.
« Ne dit jamais à Jeffrey que tu as goûté mes Pierogi... J'ai jusqu'à présent réussi à esquiver à chaque fois. »
« Je serais une tombe. » Dit-il avec plus de sérieux qu'il ne le fallait.
Elle ne pouvait pas s'empêcher de se moquer d'elle-même face à ses pensées, mais sa mère avait tendance à prendre la cuisine au sérieux. Et surtout à lui rabâcher les oreilles que celle-ci doit être faite avec envie et avec le cœur. C'était peut-être pour cette raison qu'elle était nulle à ça... Elle y arrivait uniquement lors de ses moments où elle a besoin de s'évader, généralement seule. Elle se surprenait à accepter le laisser partager ce moment avec elle, à goûter son plat. Probablement parce qu'il est si différent des autres, malgré ses nombreux regards elle arrivait toujours pas à le déchirer totalement. Il était un véritable mystère, et sa présence avait un côté apaisant. Elle avait tendance à mettre cette sensation sur sa facette de neutralité, il ne la jugera pas. En attendant qu'elle fasse cuire ses gros raviolis, le coréen sorti deux assiettes d'un placard, des couverts, et une boîte en plastique estampillée à son nom du frigo. Il posa le tout au bout de la table bar et fouilla un peu dans les placards avant de trouver deux verres à vin et dénicha une bouteille de vin qu'il savait cachée là. C'était un vin rouge français, venant tout droit de la région bordelaise.
« Une verre ? »
Il leva la bouteille en direction de la demoiselle, le regard interrogateur. Il l'avait réservé pour une autre occasion mais cela irait parfaitement avec ce petit repas improvisé. Tout comme la salade de choux rouge et rave qu'il avait mit à mariner le midi dans sa mystérieuse boîte. Elle était destinée au déjeuner du lendemain mais il ferait autre chose à manger.
« Avec plaisir, ce n'est pas souvent que j'en ai l'occasion d'en boire ! »
Elle lui lança un sourire avant de terminer de faire cuire les Pierogi restants, qu'elle déposa dans une assiette avec du papier absorbant. Elle aimait le vin, comme l'alcool sans pour autant en boire à l'excès. Déjà parce que financièrement, elle ne pouvait pas se permettre d'abus, puis sa première expérience où elle s'était retrouvée totalement bourrée l'avait suffit largement. Elle n'était pas une sainte, des conneries de jeunesse elle en possédait une très longue liste. Elle avait simplement appris de ses erreurs, du moins pour certaines plus que d'autres.
« Tu as des talents culinaires. Dit-elle en regardant la boîte qu'il avait sortir du frigo. Ta gestuelle des doigts est moins bordélique que la mienne ! »
« Merci. Ce n'est pas grand chose, qu'une salade de choux marinés. »
Il déboucha et servit deux verres de vin, non sans vérifier que la bouteille était buvable au préalable. Yennefer l'avait observé lorsqu'il avait découpé le beurre, de simple détail le concernant, mais qui lui permettait d'en découvrir plus sur lui. Elle déposa le plat sur la table, avant de commencer à servir dans les assiettes pour finalement s'installer à table. Elle attrapa son verre, le regardant dans les yeux en souriant.
« A la tienne ! »
« A la tienne ! »
Il répondit à son sourire avant de prendre une gorgée de vin. Ne jamais reposer son verre avant d'avoir bu au moins une gorgée lorsque l'on a trinqué. Il ne savait pas d'où il tenait cette superstition mais c'était bien une des seules qu'il exécutait. Il posa ensuite son verre et s'attaqua à son premier Pierogi. Il resta un instant impassible, à mâcher sa bouchée, avant de laisser filtrer un léger sourire. Elle avait savouré la gorgée de vin, se disant qu'elle en avait encore bu des aussi bons que celui-ci. Son attention resta posée sur le jeune homme, voulant le voir goûter et avoir son avis avant de commencer son assiette.
« C'est très bon. Ta mère peut être fière de toi ! »
« Ouf, j'ai passé le test ! Dit-elle en plaisantant avant de poursuivre plus sérieusement. Merci. »
De nouveau un léger sourire avant de prendre une autre bouchée, avec une gourmandise certaine... Elle prit elle aussi une bouchée, son plaisir se dessina sur les traits de son visage. A cet instant, elle avait l'impression d'être la petite fille de sa jeunesse qui mangeait pour la première fois ce plat préparait avec tellement d'amour par sa mère. Il était pourtant simple, mais riche d'émotion pour elle.
« Cela ressemble aux gyosa alors ? Demanda-t-elle en prenant une bouchée de choux marinés. Putain c'est bon ça aussi ! »
Le jeune homme ne peut s'empêcher un sourire avant de répondre, calme et posé.
« En effet ça ressemble. Il n'y a que l'enrobage qui diffère vraiment. Et un peu la façon de préparer. Les asiatiques font beaucoup mariner les choses avant de les cuire, pour qu'elles prennent vraiment le goût. »
Elle n’avait jamais mangé de choux cuisinés de cette façon-là. Elle s'empressa de prendre une seconde fourchette en souriant.
« Toutes les nuits, tu les passes à vadrouiller dans les pavillons endormis ? Tu me diras, au moins on te fait pas chier comme ça... Un peu de silence, c'est ce qui manque dans la journée par ici... »
Yennefer avait encore du mal à s'y faire, surtout après ses quelques mois dans le Ranch de Jeffrey où l'agitation de la ville, de la population n'arrive jamais jusqu'à eux. Et pourtant, toute sa jeunesse elle a vécu dans le bruit agressant des grandes villes, des quartiers pauvres et sordides. Elle était habituée à ça, mais dès son plus jeune âge elle s'était aussi créé ses moments d'isolement, de silence pour ne pas exploser. L'académie pouvait ressembler à une immense fourmilière. Le coréen lui glissa un regard en coin et attendit quelques secondes pour répondre. De terminer sa bouchée d'une part mais aussi de rassembler ses idées et ses mots. S'il n'était qu'à la recherche d'un peu de silence, le monde entier ne saurait plus où le trouver, il se serait isolé au fin fond d'un désert tel un ermite pour le trouver, ce silence. Mais cela, la jeune femme ne pouvait pas le savoir.
« Plus ou moins... Je bosse, je fais du sport... Je m'occupe. »
« Mais tu dors quand sérieux ! »
« Avant, ou après. Je n'ai besoin que de quelques heures par tranche de vingt-quatre... »
Elle plissa légèrement les yeux, ses pupilles brillaient d'une grande curiosité autant que la sonorité de sa voix. Malgré que sa question avant un côté amusant par le sens qu'elle dégageait, presque enfantin vu l'importance que dormir représente pour elle. Il haussa les épaules et eu un semblant de sourire avant de boire une gorgée de vin, prenant le temps d'en apprécier le goût.
« Et toi qui dort d'habitude, qu'est-ce qui te tourmente pour que tu reste éveillé ? Peut-être que je pourrais t'être d'une aide quelconque, qui sait ! -il hausse des épaules Après tout, je t'en dois une. Tu as rattrapé mes points. »
Il garde son verre à la main et fixe son regard dans le sien après avoir gardé les yeux sur son verre pendant toute sa petite tirade. Il reste dans l'attente, calme, sans ne laisser paraître une once de curiosité ou quoi que se soit d'apparent. Il n'en éprouve pas vraiment en fait. De la bonté d'âme, prêt à donner son aide, oui, mais pas réellement de la curiosité. Après tout, elle pourrait refuser son aide et il respecterait ce choix. Elle avait gardé un instant le silence, terminant sa bouchée, mais lui lança un regard avant de se reposer sur son assiette.
« Quand on est jeune, on est con... J'en ai fait des conneries, plus ou moins grave, c'est bien pour ça que ma mère a déjà des cheveux blancs qui sont apparu... Et pourtant, elle est jeune ma mère. Sauf que forcément, avec certains personnes il est plus compliqué de couper définitivement les liens... »
Il ne pouvait que la comprendre, même s'il ne pouvait pas avouer ses propres délits. Il reposa son verre et attrapa de nouveau ses couverts, attendant la suite sans l’interrompre, de peur qu'elle ne change d'avis. Elle attrapa son verre, le terminant d'une traite comme si elle en avait besoin pour continuer son explication. Elle ne se forçait pas à parler, pourtant ce secret-là personne dans son entourage en avait conscience. Du moins, dans les détails... Quoi qu'elle ne savait pas si elle osait tout lui dire, demander de l'aider était une chose compliquée pour elle.
« J'ai fait l'autruche, pensant naïvement qu'une telle personne lâcherait l'affaire. Il ne comprend pas la définition du mot non. Donc, il s'amuse à faire pression. »
« Un maître chanteur... »
Il avait murmuré, plus pour lui que pour elle, perdu un instant dans ses pensées. Une fraction de secondes tout au plus. Cependant, il la regarda avec sérieux et calme, cherchant à apaisé son âme à elle. Oserait-il cependant faire des recherches sur elle ? Plus approfondies que le peu qu'il savait déjà ? Pour l'instant, il ne s'y était pas autorisé. Par respect. Mais si quelqu'un était à ses trousses... La donne n'était plus vraiment la même... Un sourire se dessina sur ses lèvres, il se voulait rassurant, plus vis-à-vis d'elle-même que de lui. Elle minimisait les risques, parce que les accepter voudrait dire qu'elle allait trouver une solution, solution qu'elle savait qu'elle serait compliquée à trouver pour le moment.
« J'aurai du suivre le guide pour devenir une princesse, règle numéro un tu évites le grand-méchant loup. Plaisanta-t-elle en reprenant une bouchée de son assiette. »
« Les contes de fées n'apprennent pas aux petites filles à devenir des princesses. Ils leur apprennent que les monstres peuvent mourir. »
Et d'ailleurs, récemment, que c'était elle-même qui pouvait les tuer...
« Tu veux que je le tue ? »
Si cela pouvait l'aider... Après les frères Iakimov, il doutait de se retrouver face à pire ennemi... Il avait cependant poser sa question avec tout le sérieux dont il faisait preuve depuis le début, comme si c'était le court normal de la conversation. A vrai dire, ne l'était-ce pas un peu pour lui ? Malheureusement. Elle s'étouffa avec sa nourriture face à sa question, surprise autant par ses mots que par le sérieux qui en ressortait derrière. Elle ne douta pas un seul instant qu'il était capable de mettre à exécution sa proposition. Elle se servit rapidement un verre de vin qu'elle avala aussitôt pour passer sa toux.
« Tu vas vraiment me faire passer par toutes les émotions possible ce soir... marmonna-t-elle en plongeant son regard dans le sien. Il n'en vaut pas la peine, c'est un mec perdu qui est tellement misérable. Cela serait du gachi de perdre une balle pour ça... »
« Il y a d'autres moy... »
Il suspendit sa phrase au milieu, se rappelant qu'elle avait failli s'étouffer. Inutile d'en rajouter et de lui faire définitivement peur. Il ne se le pardonnerait jamais.
« Excuses-moi. C'était juste une idée. »
Il haussa légèrement des épaules et reprit une gorgée de vin, la gardant un peu en bouche pour profiter de ses arômes avant de ré-attaquer son plat. Mentalement, elle ne pourrait jamais accepter une telle proposition, pas parce qu'elle se souciait réellement de la vie de son harceleur, mais parce qu'elle ne voulait pas que Kwaï' se salisse les mains. Des mains qui visiblement étaient déjà bien entachées de sang, bien que les détails elle ne pourrait jamais les imaginer. Était-elle choquée d'apprendre ça ? Est-ce que son regard envers lui avait à jamais changé maintenant qu'elle savait ça ? Non... Non, car elle a déjà connu des gens qui avaient des morts sur la conscience. Et que lui, malgré ça dégageait autre chose...
« Il ne peut pas m'atteindre physiquement, il va juste m'attaquer mentalement. Je dois juste prévenir ma mère, car c'est pour elle que je m'inquiète. Il possédait des images, je crois même une vidéo qui va forcément lui envoyer. Je préfère qu'elle soit préparée et qu'elle sache avant... »
Elle s'arrêta dans sa phrase, avalant difficilement sa salive pour finalement reprendre son repas. Il hocha doucement de la tête, la considérant un instant avec sérieux avant d'enfourner une bouchée.
« Très bien. Mais promets moi une chose : si ça tourne mal, promets moi de me tenir informé. »
« Promis » Dit-elle à bout de lèvres sérieusement.
Si les choses dégénéraient, il serait bien capable de faire le déplacement. De traquer et éliminer cet indésirable... Où qu'il soit dans le monde... Peu de gens arrivaient à lui échapper. Si ce n'était aucun... Mais cela, il se garda de lui dire, reprenant son plat en silence. Elle termina son assiette, qu'elle poussa légèrement en déposant ses couverts dessus. Son regard se tourna vers l'horloge murale, il était bientôt quatre heures.
« Cela va être compliqué de faire ton sport après ce repas-là... »
Il sourit doucement en terminant son plat et son verre. Ce n'était jamais compliqué pour lui de s'astreindre à sa gymnastique quotidienne. Et elle, maintenant qu'allait-elle pouvoir faire ? Si elle retournait dans son lit, le sommeil arrivera-t-il maintenant ? Elle sentait une légère fatigue, mais elle n'était pas totalement apaisée pour autant. Malgré qu'elle devait reconnaître une chose, ce repas, la présence de Kwaï' et cette discussion l'avait soulagée d'un poids. Pour le reste, elle avait la conviction qu'il partirait quand elle aura réglé cette affaire.
« Il y a quoi dans le coin pour s'occuper... »
« Et bien... »
Il réfléchit un instant, alors qu'elle se levait, récupérant les assiettes pour les glisser dans le lave-vaisselle. Sa question était à demi ton, elle ne savait pas s'il comptait rester ou s'il allait reprendre le cours de sa nuit. Autant elle n'avait pas un planning, mais lui il ne manquait pas d'occupation, voir des choses importantes à faire. Avait-elle le droit de manifester son envie qu'il reste ? Avait-elle le droit de lui imposer de rester... Il ne pouvait ignorer le ton dans sa voix ni sa gestuelle toute en retenue. Un fin sourire passa sur ses lèvres alors qu'il rebouchait la bouteille de vin et lui apportait les verres, à ajouter au lave-vaisselle.
« Je te laisse deux choix en ma compagnie : soit tu viens avec moi à la salle de sport -parce que je compte bien ne pas louper ma séance du jour, même si je dois la reportée- soit tu te laisse faire et on essaie mon remède pour trouver le sommeil sur toi. Je n'ai pas d'autres propositions. »
C'était désormais à elle se faire son choix, il s'adapterait en conséquence... Il haussa légèrement des épaules et lui servit un sourire en coin. Cette fois, la curiosité piquait son regard, parce qu'il n'avait aucune idée du choix qu'elle allait faire. Un sourire s'afficha sur ses lèvres face à ses deux propositions, il l'avait piqué net dans sa curiosité.
« Si on va dans la salle de sport, j'ai la sensation que je ne pourrais pas uniquement faire ma larve dans un coin en te regardant... Tu vas vouloir voir à l’œuvre mon talent sportif ! »
« C'est certain. »
Elle lui lança un regard amusé avant de poursuivre.
« Et là, tu m'intrigues avec ton remède ! Je prends l'option deux ! » Dit-elle en souriant.
« Très bien ! Dans ce cas, on a une petite étape ici avant de monter au premier. »
Il haussa des sourcils, appuyant le mystère et se dirigea vers le placard de nourriture. Il sorti une petite bouteille de lait, qu'il versa dans une casserole. Il mit le tout sur le feu, et farfouilla pour trouver une boule à thé et des clous de girofle. Il mit quelques clous dans la boule avec un brin de thym et laissa le tout infuser dans le lait encore froid. Il sorti deux tasses en attendant et une tablette de chocolat qu'il réduisit rapidement en petits carrés. Une fois le lait chaud, il jeta le chocolat dedans et tendit une cuillère en bois à la jeune femme.
« Touilles. Pour ne pas que le lait brûle. »
Il la laissa faire, mettant une généreuse cuillère de miel au fond de chaque tasse ainsi qu'un bouchon de brandy. Une fois le chocolat entièrement fondu, il ajouta un peu de crème épaisse et remua encore le tout avec délicatesse avant de remplir chaque tasse. Il jeta le contenu de la boule à thé et mit le tout au lave-vaisselle. Une cuillère dans chaque tasse et il emporta le tout.
« Aller viens. Tu éteins derrière nous ? »
« Oui ! »
Il grimpa dans la relative pénombre du hall les grandes marches de pierre pour entrer dans le salon à pas feutrés. Elle s'empressa de le suivre de près, évitant de justesse de s'agripper à son vêtement, car elle avait du mal à se déplacer dans cette pénombre. A cette heure là et comme toujours au beau milieu de la nuit -il en savait quelque chose- il n'y avait personne dans la grande salle chaleureuse. Il confia les tasses à la demoiselle non sans omettre de lui recommandé d'y faire attention d'un sourire moqueur et entreprit de déplacer la table basse et tourner un canapé face à l'âtre de la cheminée. Il ajouta une petite console de chaque côté du canapé pour qu'ils puissent poser leurs tasses et mit la table basse hors d'atteinte des braises sautillantes mais sans pour autant leur empêcher de poser les pieds dessus. Le feu de la veille était presque éteind, quelques braises subsistaient. Il aurait moins de mal à le rallumer.
« Installe toi. Tu vas voir, c'est presque divin. »
Elle était restée silencieuse, l'observant faire avec curiosité, mais surtout étonnement au fur et à mesure. Elle ne s'était pas attendue à ça, à voir cette facette qui se dessinait petit à petit devant elle. Quelques minutes avant, il lui proposait de tuer quelqu'un, dans la normalité la plus totale. Et maintenant, un côté plus doux s'exprimait devant elle. Il était une énigme vivante. Elle s'était tranquillement installée sur la canapé, soupirant légèrement d'un plaisir certains. Il sorti un grand plaid pelucheux d'un coffre et s'attaqua à faire reprendre le feu de la cheminée, laissant la jeune femme s'installer dans le canapé confortable. Une fois le feu reparti, il prit place à côté d'elle, s'installant sous le plaid chaud et prenant sa tasse pour en goûter une gorgée. C'était sucré et parfumé. Parfait pour son problème de sommeil. Bien qu'il ne sache pas si cela allait fonctionner sur elle. Cependant, lui-même avait toujours un peu de mal à lutter face à la combinaison du chocolat chaud et du feu hypnotisant, bien installé dans un canapé aussi moelleux. Elle avala une gorgée du breuvage, qui était affreusement bon et elle ne s'empêcha pas de le manifester par un son sonore.
« Et voilà... Tu n'as plus qu'à te laisser bercer par le ronronnement du feu, la chaleur qu'il dégage, le lait chaud dans ton estomac et si tu le souhaite, je peux même te raconter une histoire... »
Oserait-il jouer le rôle d'oreiller humain ? Il n'avait pas encore assez de cran pour le proposer, aussi il s'abstient, sans pour autant écarter cette possibilité... Son regard se posa sur lui, l'observant avec attention. Il lui jeta un bref regard avant de poser celui-ci sur les flammes vacillantes en buvant son chocolat chaud.
« Tu es... indescriptible. Je n’ai jamais rencontré un mec comme toi. Dit-elle avec une sincérité absolue et empreint d'un compliment. Et putain que j'aime ton remède ! »
« Merci. C'est un beau compliment. »
Son regard se tourna vers la cheminée, observant les flammes qui dansaient en crépitant. Elle replongea un instant ses lèvres dans la tasse avant de marmonner.
« J'aimerais bien entendre une histoire... »
Un petit sourire passa sur ses lèvres et il bu une longue gorgée de son chocolat avant de l'abandonner sur la console à côté de lui. Il s'enfonça un peu plus dans le molleton des coussins et prit une légère inspiration.
« Très bien. Dans ce cas, je vais te raconter celle que je connais le mieux. »
La mienne... pensa-t-il sans le lui avouer. Il prit une voix grave et monotone, et parlait juste assez fort pour couvrir les craquements du bois dans le feu. Dans le silence qui régnait autour d'eux, c'était largement suffisant. Il gardait le regard fixé sur le feu dansant, adaptant également ses phrases aux murmures de ce dernier, pour qu'il ponctue son histoire plus qu'il ne la dérange. Il parlait lentement, en prenant son temps...
« Il était une fois, il y a de cela quelques années maintenant, naissait, au cœur de Séoul, un petit garçon. Bien que ses parents eurent un modeste foyer à la campagne, il était très attendu au sein de cette petite famille. Son père travaillait dans le centre de Séoul. Il travaillait dur et tard, mais c'était un homme aimant et d'une grande gentillesse. Il avait cependant un défaut : il était passionné. Passionné à son extrême. Passionné par les courses de chevaux... Mais ses moyens très peu élevé ne lui permettaient pas de jouer autant qu'il le désirait, ce qui lui donnait un air quelque peu frustré lors des jours de courses. Cependant, il éleva son fils avec justesse et droiture. S'attachant à lui transmettre de nombreuses valeurs indispensables pour un gentleman. Sa mère elle, d'une santé fragile, ne travaillait pas et restait à la maison pour s'occuper de son fils. Elle était souvent accablée de fatigue, mais elle faisait de son mieux pour ne pas le montrer. Alors que le petit garçon eu trois ans, vint au monde sa petite sœur. Elle aussi était très attendu par la famille, et elle fut très aimé. »
Il fit une légère pause, comme s'il arrivait à la fin d'un chapitre et tournait la page...
« Les deux enfants grandirent dans la simplicité mais entouré de l'amour de leurs parents. Quelques années passèrent dans une relative tranquillité. Leur mère allait mieux et avait même décidé de travailler quelques jours par semaine afin de soutenir leur famille. En échange de quoi les deux enfants avaient un comportement exemplaire à l'école. On ne pouvait rien leur reprocher. Un jour de printemps, alors qu'il rentrait d'une longue balade avec sa sœur, le petit garçon trouva sa mère emplie de désespoir, assise à la table de la cuisine. Son père en revanche, rayonnait de bonheur. Il s'avérait qu'il avait gagné une jument de course en jouant aux cartes et il avait ramené la jument à la maison. Elle était très belle et très jeune, mais elle était taillée pour la course. Ils trouvèrent un champs à louer et lui construisirent un abri. Durant une année entière, le père et le fils se consacrèrent au débourrage de la petite jument. Le père transmettait à son fils toutes ses techniques, toute sa passion. Avoir son propre cheval de course était l'un de ses plus grands rêves et le voilà qui se réalisait. Il ne pouvait espérer mieux, malgré les difficultés financières qui vinrent s'ajouter à leurs soucis. Mais qu'importe, il tenait entre ses mains le rêve de toute sa vie... »
De nouveau il fit une légère pause et jeta un œil discret à la demoiselle, pour voir dans quel état elle était. Elle était attentive, captivée, buvant avec lenteur son chocolat chaud pendant que son regard contemplait les flammes dans la cheminée. Il poursuivit ensuite avec la même douceur.
« Arriva le moment crucial où il fallait monter la jument. Le père ne le pouvait pas, il était trop grand et trop lourd. Mais son jeune fils avait tout du jockey de course. Il était assez léger et assez petit pour ne pas faire de mal au dos de la jument et la faire courir. Le garçon monta donc la jument, apprenant en même temps les rudiments de l'équitation. Il s'entraîna chaque soir en revenant de l'école et après avoir fait ses devoirs, ainsi que chaque week-end. Qu'il pleuve qu'il vente ou qu'il neige, il était à cheval. Sa mère s'inquiétait pour lui et sa santé fragile en pâtissait également. Mais elle tenait bon et continuait de s'occuper de son foyer et de ses enfants, comme elle l'avait toujours fait. Ainsi, le garçon couru sa première course. Il la perdit, provoquant le déception de son père, mais autant l'un que l'autre ne lâcheraient l'affaire. Ils continuèrent l’entraînement et les courses. Ils arrivaient souvent sur le podium et les gains que leur rapportaient la jument lui permettait de s'entretenir seule. Mais pour leur mère, ce n'était pas suffisant. D'autant plus que le garçon commençait à devenir trop grand pour courir. Trop lourd... Ils enchaînaient les défaites quand un éleveur se présenta à eux. Il souhaitait racheter la jument. Cela fendit le cœur du père, mais ils n'avaient plus le choix. Ils ne pouvaient continuer ainsi plus longtemps. Il vendit la jument à bas prix, en échange d'une promesse : celle qu'on lui donne le premier né de la jument bai, issu d'un croisement pure race avec un cheval de course. L'éleveur accepta le marché, trop content de cette transaction dont il était l'unique gagnant. Ils attendirent une longue année avant que l'éleveur ne les recontacte : la jument allait donner naissance à son premier poulain, issu d'un étalon de course. Il leur livrerait au sevrage. Le père sautait de joie et retrouvait du baume au cœur, ce qui ravi toute la famille. Ainsi, ils patientèrent six longs mois, avant que n'arrive le tout jeune poulain... »
De nouveau il fit une légère pause, avant de reprendre un ton plus bas.
« Comme ils l'avaient fait avec la jument, ils débourrèrent le jeune étalon fougueux dont ils avaient hérité. Cette fois, le père laissa faire le fils, pour qu'il prenne de l'expérience. C'est également lui qui débourra l'étalon à la selle et qui lui fit courir ses premières courses. Le jeune étalon se montrait bien plus prometteur que sa mère : plus combatif, plus vif, plus rapide. Il gagna sa première course à deux ans, mais rapidement, ils durent se rendre à l'évidence, le garçon était trop lourd pour lui, malgré son jeune âge. Par contre, sa petite sœur elle, avait le gabarit parfait. Malgré le refus premier de leur mère, la petite fille monta sur le fougueux étalon et, sous les conseils avisés de son frère et de son père, elle s'entraîna avec le grand étalon bai. Elle su tout de suite montrer au grand jour tout le potentiel de l'étalon et elle commença les courses rapidement. Elle enchaînait les victoires sur des distances de plus en plus longue... Elle était tellement douée que le père décida de l'inscrire sur des courses de haie. Plus dangereuses certes, mais avec plus de gains. Le couple se montra tout aussi efficace, si ce n'est plus, sur les haies que sur le plat, enchaînant les victoires... Le père fut approcher de nombreuses fois par des éleveurs ou de riches marchands, pour racheté l'étalon ou e serait-ce qu'avoir une saillie. Mais il refusait toujours, préférant attendre que l'étalon prenne sa retraite sportive... De la valeur... »
Sa voix avait progressivement baissé, n'étant presque plus qu'un murmure à la fin. Le feu ne crépitait plus mais ronronnait doucement, distillant une chaleur agréable. Il était presque sur le point de s'endormir, bercé par ce tout apaisant. Il arrivait également au point de l'histoire qui tournait à la tragédie... Il se garda donc de lui raconter cette partie, et maquilla le reste de l'histoire pour la rendre plus heureuse.
« Et c'est ce qu'il fit. Plus il courrait, plus il prenait de valeur, donnant à toute la famille l'espoir qu'un jour, ils n'auraient plus à s'inquiéter du lendemain, et de ce qu'ils allaient devenir... »
Ce qui était en parti vrai... Ils n'avaient plus à se soucier de ce qu'ils allaient devenir désormais... Elle pencha doucement la tête sur le côté, la posant sur l'épaule de Kwai en s’emmitouflant davantage dans le plaid et le canapé. La chaleur avait alourdie ses paupières.
« Merci... » Murmura-t-elle à bout de lèvres avec émotion.
Son remerciement, pourtant simple possédait de nombreuses significations forte pour elle. Au fond, ces nuits-là elle les avait toujours appréhendées sans jamais se l'avouer. Sa présence, son écoute l'avait apaisé bien plus qu'elle ne l'aurait cru. Et cet instant risquerait de laisser des traces, surtout son histoire qui sonnait comme un écho du passé... De son passé probablement, bien qu'elle ne pouvait pas tirer de conclusion trop hâtive. Comme de la fin... Avait-elle réellement été heureuse ? Des questions qu'elle ne poserait pas ce soir, le moment était trop serein, magique pour ça. Elle finit par s'endormir contre lui. Le coréen resta éveillé, veillant sur son sommeil, espérant éloigner, par sa présence, les ombres menaçantes de sa nuit. Il attendit avec patience un cycle complet de sommeil, pour ne pas risquer de déranger son sommeil profond, avant de s'extirper le plus délicatement possible et prendre la jeune femme dans ses bras, emmitouflée dans le plaid. Le ciel commençait à s'éclaircir à l'est, il ne devait plus être très loin de six heures... Peu importait. Ne sachant pas où était sa chambre, il la déposa avec délicatesse sur son lit, veillant à ce qu'elle soit bien recouverte par le plaid. Quant à lui, il prit place sur le fauteuil molletonné de sa chambre. Les bras sur les accoudoirs, les jambes croisées devant lui, la tête appuyée sur le dossier, il se laissa aller à quelques courtes heures de sommeil, observant la lente progression de la lumière dans le ciel encore sombre. Voilà bien longtemps qu'il n'avait pas agit de la sorte. L'avait-il simplement déjà fait ? Oui... Pour sa petite sœur, quand il n'était encore qu'un gamin... Mais depuis, il en doutait. Il distillait peu de marques d'affection. Les autres savaient qu'il les aimait grâce aux services qu'il leur rendait, à sa présence dans les moments les plus durs de leurs vies, à ses brèves attentions. Futiles pour eux, extravagantes pour lui... Que lui arrivait-il donc ? Son esprit tourmenter par ces dizaines de questions l'éveilla puis avant le réveil. Il jeta un dernier regard à la demoiselle endormie, attendrie par cette confiance qu'elle lui accordait. Elle ne le devait pas. Il était trop dangereux pour elle. En témoignait ses réactions ce soir, sur diverses questions... Non... C'était trop dangereux. Pour elle. Il prit une difficile inspiration, la gorge nouée et griffonna un mot à son intention. Il la remerciait pour son plat et lui souhaitait une excellente journée, lui rappelant, à demi-mot, la promesse qu'elle lui avait faite de le prévenir en cas de difficulté. Ce après quoi il s'éclipsa au moment où le soleil perçait au dessus des arbres. Il décida que c'était un bon matin pour courir et s'élança à petites foulées sur les chemins entourant le Haras, se vidant la tête au possible, sans vraiment y parvenir...
|
|