Teardrop
Admin
Ep 09 | Rencontrer son futur - Mar 15 Déc 2020 - 14:00
Depuis qu’ils avaient quitté le Haras, assez discrètement d’ailleurs, Izikel n’avait plus dit un mot, restant enfermé dans un mutisme inquiétant. Son vocabulaire c’était réduit à « oui » « non » et « merci » en réponse aux nombreuses questions qu’on lui posait. Heureusement il avait été un peu plus bavard avec la douane, ce qui lui avait permis de passer cette fastidieuse étape sans encombre. L’ambiance aux Etats-Unis était un peu électrique. Les américains votaient pour élire leur prochain président et les candidats en lice pour le sésame n’étaient pas au goût de tous. Autant l’un que l’autre, ce qui divisait le pays, et inquiétait le reste du monde… Mais ils n’étaient pas là pour ça. Ils venaient pour Izikel et sa fille et rien d'autre.
La situation rendait Myriam quelque peu mal à l’aise. Les conditions dans lesquelles l’irlandais devenait père étaient très loin d’être idéales. Non seulement il n’avait pas pu suivre la grossesse de sa compagne mais il n’avait pas non plus eu le choix. Bien que le connaissant -Myriam ne pouvait pas même concevoir qu’il choisisse l’avortement- la nouvelle lui était tombé dessus d'un seul coup, telle une épée de Damoclès s'abattant sur le destin. Mais en plus de cela, il devait avoir bien du mal à se positionner face à cette enfant. Ils avaient tous tendance à oublier le passé des autres, mais dans l’équipe, Izikel était l'un de ceux qui avait le plus lourd bagage. Il faisait son possible pour le leur faire oublier sans le renier, mais Myriam, elle, n’oubliait pas qu’il n’avait jamais eu de père. Qu’il n’avait d’ailleurs jamais connu ses parents biologiques. Abandonné dès la naissance aux portes d’un couvent, il avait été élevé au sein de la congrégation de sœurs bénédictines qui l'habitait, en ne connaissant un univers qu’exclusivement féminin et religieux durant bien des années. Malgré tout, il n’avait pas suivi la voie religieuse et s’était détaché de tout cela quand était venu le temps d’entamer des études un peu plus sérieuses. Mais jamais avant que Maël ne vienne au monde il n’avait vu de figure paternelle en action… Il devait sans doute être complètement perdu face à ce nouveau rôle qu’il devait endosser… Mais Myriam, paradoxalement, ne doutait pas de lui. Malgré le fait qu’il ne sache pas ce que c’était que d’être père, il avait toujours eu un comportement exemplaire avec Maël. Ferme quand il le fallait, mais aussi très tendre et affectueux aux moments opportuns. Il avait posé des limites que Maël respectait de façon exemplaire avec lui, là où le petit homme testait toujours les limites face aux autres. D’ailleurs, Izikel était sans aucun doute le cavalier préféré de Maël au sein de l’équipe. Et c’est principalement pour cette raison que Myriam pensait fortement à lui pour être le parrain de son fils…
Une pluie fine tombait sur Great Falls quand ils sortirent de l’aéroport. Kwaïgon avait tout prévu pour leur voyage. Une voiture était réservée et les attendait à la sortie de l’avion. Un appart-hôtel proche de la maternité avait été payée d’avance. Ils n’avaient rien à faire, si ce n’est un peu de paperasse et attendre que la petite ait ses papiers pour pouvoir quitter le pays et rentrer au Haras avec elle. Izikel se laissait conduire et suivait Myriam avec discrétion. Il ne pleurait plus depuis quelques jours maintenant, mais il était soucieux et cela se lisait sur son visage. Il refusait toujours de parler de Moïra, refusant ne serait-ce que de croire qu’elle pouvait être morte. Pour lui, c’était simplement une vaste blague de mauvais goût. Il n’expliquait pas la présence de sa fille mais l’acceptait. Difficilement mais il l’acceptait. Ils roulèrent en silence jusqu’à l’hôtel pour y laisser leurs affaires, avant de ressortir à la recherche d’un restaurant où déjeuner. Ils avaient rendez-vous avec Sarah Smith, l’assistante sociale qui avait fait le déplacement jusqu'au Haras, pour le début d’après-midi. Myriam redoutait ce moment car elle n’avait aucune idée de la façon dont allait réagir l’irlandais. Est-ce qu’il allait fondre en larme ? Ou au contraire prendre sur lui et rester stoïque ? Ou encore rester léthargique, enfoncer dans son profond mutisme ? À la vue de son état actuel, la jeune femme n’en avait aucune idée, et cela lui faisait un peu peur…
Comme s’y attendait l'éleveuse, l’irlandais se contenta d’avaler son troisième café de la journée et un club sandwich très loin d’être assez nourrissant pour lui. Il ne mangeait presque plus rien depuis que Myriam lui avait annoncé la mauvaise nouvelle et il avait perdu du poids. Cela se voyait sur son visage : il avait les joues creusées et le teint pâle. Ses yeux cernés étaient également un gage de la grande fatigue qui l’habitait mais de cela, elle avait un peu plus l’habitude désormais. Myriam ne fit aucun commentaire. Elle savait qu'il se braquerait et ce n’était certainement pas le moment pour cela. Elle s’employa donc à lui parler des chevaux, des poulains à naître, des élevages, mais c’était sans succès. L’éthologue restait absent, le regard vide, à faire des réponses courtes. Mais la jeune femme mit un point d’honneur à ne pas abandonner et l'irlandais se laissait faire, ne faisant lui aussi aucune remarque alors qu’il avait très bien comprit où elle voulait en venir…
Le déjeuner terminé ils reprirent la route pour rejoindre l’hôpital. Sur place, Sarah les attendait déjà, tout sourire. Elle leur tendit à chacun une main chaleureuse, qu’ils serrèrent avec la même conviction mitigée.
« Bonjour ! Bienvenue à Great Falls ! »
« Bonjour Sarah ! Merci ! »
« Ce n’est pas le meilleur jour de l’année mais bon… On y va ? »
Izikel lui servit un faible sourire et acquiesça. Une fois encore il avait gardé le silence, mais il avait le regard un peu plus éveillé, ce qui était déjà un bonne chose.
« On vous suit ! »
Sarah sourit de toutes ses dents et les précéda dans le hall de l’hôpital, les faisant échapper aux gouttes glacées de la pluie automnale du Montana. L’hôpital grouillait d’activité, comme c’était souvent le cas dans ce genre d’endroit. Ils traversèrent un dédale de couloir et prirent un ascenseur pour aller dans une aile plus calme du complexe. Contrairement à ce que la jeune femme attendait, il n’y avait pas de cris de bébés ou autre chose du genre. L’endroit était calme et étrangement silencieux. La lumière grise entrant par la file de baies vitrées sur un côté du couloir n’amenait pas beaucoup de gaieté, ce qui n’arrangeait pas les choses. Izikel restait silencieux, les mains dans les poches, le regard vers l’extérieur, un peu anxieux. Myriam le voyait à la légère ride qui barrait son front. Cependant elle continuait de discuter avec Sarah, joyeusement. L’assistante sociale lui expliquait à quel point elle était contente qu’ils soient venus chercher l’enfant. Malgré le fait que ce soit en parti son travail, cela lui fendait le cœur de devoir trouver des foyers ou familles d’accueil pour les enfants qui était régulièrement abandonnés ou orphelins. Elle avait également bien compris que le cas du jeune homme était particulier et dans sa profession, bien que cela soit déjà arrivé, une telle extrême restait exceptionnelle. Elle était même admirative de la réaction du jeune père. Elle avait déjà vu des hommes nier en bloc et refuser même de voir leur enfant. L’irlandais écoutait d’une oreille distraite. Au fil des pas, il se rendait de plus en plus compte de ce qui était en train de se passer. Il ne savait pas s’il était prêt ou non. Il ne se posait pas ce genre de question. Il ne savait pas non plus ce à quoi il devait s’attendre et comment les choses allaient se dérouler par la suite. Il savait qu’à partir de ce jour, sa vie entière changerait. Mais il n’arrivait pas à mesurer à quel point. Il n’arrivait plus à imaginer ce que serait son avenir. Il vivait au moment présent. Pas même jour après jour, ou heure après heure, mais vraiment à la minute, improvisant complètement. Cela faisait bien des jours maintenant qu’il avait perdu l’entier contrôle de sa vie… Il était en roue libre et il détestait cette sensation. Mais d’un côté, il était curieux de voir où tout cela le mènerait. Une part de lui vivait le moment à l’instant présent et une autre, complètement détachée, observait la scène de plus haut et se demandait ce qui allait se passer. De même qu’une part de lui se sentait lasse, incapable de faire quoi que ce soit, vide de toute émotion alors qu’une autre tentait de réfléchir et d’amener un peu de sérénité à la situation ; en vain. Le vide était trop grand pour qu’autre chose puisse prendre le pas dessus.
Ils finirent par entrée dans un bureau. Une infirmière était là, en blouse rose. Ses cheveux blonds relevés en chignon lâche. Ses yeux clairs étaient joyeux, bien qu’un petit quelque chose de grave teintait ses traits. Elle les salua d’un sourire circonspect, ne sachant trop comment réagir face à cet homme détruit. Ils s’installèrent tous les quatre autour d’une petite table ronde et « les choses sérieuses » commencèrent. Cette fois, Izikel ne pouvait plus garder le silence. Il était obligé de participer. Cela concernait son enfant… Son sang…
« Alors pour commencer, voici la déclaration à finir de remplir ! En fait il ne manque plus que les prénoms de cette petite demoiselle. Vous avez choisi alors ? »
Sarah sourit à l’éthologue qui réussit à étendre un peu les lèvres en un sourire qui n’en était pas vraiment un, mais c’était la première fois depuis des jours que Myriam le voyait ainsi. Alors elle n’allait pas s’en plaindre.
« Oui je crois… Se sera Cathleen pour le prénom principal… Et Bérénice pour le second prénom… Et si c’est possible, j’aimerais qu’elle porte nos deux noms de familles, à sa maman et moi. »
« C’est très jolie ! Pour les noms de famille, je pense que c’est possible. Se serait donc Abraams-Todd ? »
« Oui, exactement. »
« Très bien. Mademoiselle McAvoy va vous parler de la petite Cathleen alors. C’est principalement elle qui s’en est occupé cette semaine. »
Sarah sourit à nouveau alors qu’Izikel remplissait rapidement la fin du formulaire, signant au bas de la feuille. L’infirmière posa les avant-bras sur la table, croisant les doigts devant elle et sourit également aux deux cavaliers.
« Avant de commencer, je suis contente que cette petite Cathleen puisse aller dans sa famille… C’est… Une bonne chose. On avait peur que personne ne veuille d’elle… Elle est… Une enfant très calme. Légèrement prématurée mais en bonne santé. Elle fait un peu plus de quarante centimètres et pèse deux kilos deux. Une petite crevette donc mais elle est absolument adorable. Elle ne pleure que très peu et est très alerte pour son âge ! Ce qui est plutôt bon signe… »
« Je ne pouvais pas… Me résoudre à l’abandonner. C’était inconcevable. »
Il était sincère, cela pouvait se sentir dans sa voix autant que se lire dans son regard. Et cela rassura Myriam. Il ne rejetait pas l’enfant, même si pour lui, le fait d’apprendre son existence et même de concevoir simplement son existence aussi abruptement devait être aussi difficile que douloureux. La jeune ostéopathe n’arrivait même pas à imaginer à quel point la chose devait être compliquée pour lui. Cela lui prouvait à quel point, encore une fois, il était d’une grandeur d’âme sans bornes. Elle serait devenue folle si une telle chose lui arrivait… Dans une mesure différente étant donné qu’elle pouvait difficilement être maman sans le savoir. Elle était tout simplement incapable de rassembler autant de sang-froid et d’énergie pour faire ce qu’il faisait. Au quotidien tout comme dans des moments extrêmes comme celui-là. Elle n’avait jamais cessé de le penser mais cela la frappait plus encore maintenant : Izikel était vraiment un homme exceptionnel. On ne croisait que très rarement dans sa vie des hommes comme lui. Elle eut une bouffée de fierté envers celui qu’elle considérait comme son petit frère et bien d’autres choses encore. Elle était plus que ravie de pouvoir le considéré comme faisant partie de sa « famille ».
« Je suis contente de l’entendre. Je vous la ramène ? Elle est à la nurserie mais elle peut sortir désormais, elle n’a plus besoin de soins. »
« Oui s'il vous plaît... Tant mieux… »
Il eut un faible sourire et inspira profondément alors que l’infirmière sortait de la salle. Myriam sentait que le jeune homme se tendait un peu. On arrivait au moment fatidique. Elle sentait qu’il prenait sur lui, tout en arrivant à garder son calme. Un véritable exploit. Sarah reprit la parole au départ de l'infirmière, un joyeux sourire sur les lèvres.
« Vous allez rester quelques temps ici avant de rentrer à l’Académie ? »
Les deux cavaliers échangèrent un regard. Izikel laissa Myriam répondre, l’y incitant d’un doux hochement de tête.
« Oui. Le temps que la petite ait des papiers temporaires. On ne pourra pas passer les douanes sinon… On a loué un petit appartement en attendant de pouvoir repartir. On a aussi quelques achats à faire pour la petite… »
« Vous n’aurez pas trop à prendre au début, les infirmières lui ont déjà offert plein de choses ! »
« Une petite très gâtées alors ! »
« Oh oui ! C’est la petite mascotte de la nurserie ! Toutes les infirmières s’occupent d’elle. Elles en sont folles ! »
La jeune femme sourit et Myriam fit de même. Elle n’avait jamais vu de bébé rejeter par le service maternité mais une affection plus grande que la moyenne était toujours possible. Surtout pour un bébé dans son cas… Ils poursuivirent leur conversation, surtout les filles, jusqu’à ce que l’infirmière revienne, poussant devant elle un berceau transparent. Le bébé à l’intérieur somnolait, emmitouflé dans une couverture chaude rose. Elle portait un pyjama rose pâle orné de petits cœurs roses et un bonnet rose lui tombant un peu sur les yeux. Myriam redoutait un peu ce moment mais toutes ses craintes s’envolèrent quand elle vit la réaction d’Izikel…
Dès que la porte s’ouvrit, l’éthologue se leva de sa chaise pour s’approcher doucement du berceau. Ses gestes étaient un peu hésitants mais il avait un regard sûr malgré sa mine un peu grave. L’infirmière arrêta le berceau près de lui et le laissa faire, sagement. La petite Cathleen ouvrit les yeux et croisa le regard de son père. Même si à cet âge-là elle ne voyait que des formes floues, elle ouvrit ses grands yeux bleus et fixa son père, sans que celui-ci ne puisse détacher son regard d’elle. Ils restèrent ainsi un moment, sans bouger. Izikel retenant à grand peine les larmes qui menaçaient au bord de ses yeux. Les trois jeunes femmes n’osaient rien dire, de peur de briser cette première rencontre hors du commun. Finalement, c’est Cathleen qui brisa le silence, en remuant ses petits bras et secouant un peu la tête, une grimace se peignant quelques secondes sur son visage. L’éthologue releva les yeux vers l’infirmière et demanda avec précaution, la voix enrouée par l’émotion.
« Je peux la prendre ? »
« Bien sûr allez-y. C’est bientôt l’heure du biberon. Je vous laisse faire un peu connaissance le temps que j’aille le préparer. Je reviens tout de suite. »
Elle sourit et s’éclipsa doucement alors que le jeune homme se penchait sur le berceau pour prendre la petite Cathleen avec une délicatesse infinie. Le père et la fille ne se quittèrent plus des yeux après ça. Le tout jeune père s’installa dans un fauteuil et pour la première fois depuis ce qui semblait être à Myriam une éternité, un vrai sourire passa sur ses lèvres…
Kwaïgon descendit du jet peu après l’heure d’atterrissage de Myriam et Izikel. Le remord lui rongeait déjà les tripes, mais il ne pouvait pas faire autrement. Il savait qu’il allait faire du mal à Izikel et il se détestait pour cela. Comment pouvait-il lui faire ça ? Lui qui s’était promit de tous les protéger… D’un côté, c’est ce qu’il faisait. Il protégeait Izikel. Mais de l’autre, il avait l’impression de lui planter un couteau dans le dos. A lui comme à Myriam d’ailleurs… Il soupira et regarda sa montre, immobile sur la dernière marche de son jet. Au loin, une ambulance blanche roulait silencieusement dans sa direction. Autour de lui, au pied de l’avion, le personnel de l’aéroport s’affairait. Il fallait refaire le plein et les contrôles avant le départ. Ils ne resteraient pas très longtemps sur le sol américain. Il glissa de nouveau la main dans sa poche, fixant des yeux l’ambulance, sa gorge se serrant en repensant à l’enchaînement des événements… Il s’en était fallu de peu pour qu’ils soient découverts. De quelques secondes seulement en réalité…
Le pilote s’approcha de lui, tenant un parapluie au-dessus de sa tête et un autre dans sa main. La pluie fine et glaçante qui tombait sur Great Falls arracha un frisson à l’homme en uniforme. Il se posta derrière le coréen et regarda lui aussi l’ambulance arriver doucement. Elle n’était plus très loin maintenant.
« Tenez. La pluie est loin d’être agréable quand on est convalescent. »
« Merci Luis. »
Le coréen prit le parapluie qu’il lui tendait et l’ouvrit tout doucement. Cela faisait des années maintenant qu’ils se connaissaient tous les deux. A chaque fois que Kwaïgon en avait eu besoin, Luis s’était montré présent. Lui et son jet privé. Une « amitié » de longue date que Kwaïgon entretenait chaque année au moment des fêtes, avec un cadeau assez conséquent pour lui offrir, pour une année supplémentaire, les services et le silence du pilote hollandais. Service que seul une personne au monde partageait avec le coréen et ce n’était autre que son maître et mentor : Mr Tanaka.
« Nous serons prêt à repartir d’ici une quinzaine de minutes normalement. J’ai eu la validation du créneau pour Tokyo. »
« Parfait. Nous n’allons pas trainer de toute façon. »
Le pilote adressa un signe de tête bref au coréen et remonta dans l’avion, repliant son parapluie en entrant dans la cabine. Pendant ce temps-là, le camion de fuel avait fini de faire le plein et repartait tandis que l’ambulance se garait devant le coréen. Deux infirmiers ouvrirent la porte latérale et transportèrent au sol un fauteuil roulant. La jeune femme assise dessus, le teint encore pâle, leva les yeux vers le coréen. Elle avait des cernes et ses yeux étaient rougies de larmes. Elle échangea un regard grave avec le coréen mais n’eut pas le temps de plus : les deux infirmiers reprenaient le fauteuil pour le monter dans l’avion. Le coréen s’écarta pour les laisser passer et observa les alentours d’un œil alerte. Simple habitude, il n’avait rien à craindre ici. Il soupira encore avant de monter à la suite des ambulanciers. Ils échangèrent des amabilités avec le coréen –sous forme d’une liasse de billets verts chacun- avant de repartir dans leur ambulance. Luis vint les saluer et fermer la porte avant de repartir dans son cockpit, laissant le coréen seul avec son « invitée ». Kwaïgon s’installa en face de la jeune femme sans un mot, ne pouvant cependant pas s’empêcher de lui lancer un regard accusateur. S’il trompait les siens, c’était à cause de son souhait à elle. Une larme perla sur sa joue et elle détourna le regard. Cela lui faisait aussi mal qu’à lui, si ce n’est plus. Elle ne trompait pas seulement celui qu’elle aimait, elle abandonnait aussi son enfant… Entre de bonnes mains, certes, mais elle l’abandonnait tout de même.
« S’il te plait Kwaïgon… Pardonnes moi. »
Le coréen ne répondit pas. Il préférait ne rien dire plutôt que de lui mentir. Malgré tout ce qu’ils avaient vécu ensemble, il était pour l’instant incapable de lui accorder son pardon. Il comprenait, mais cela ne voulait pas dire qu’il cautionnait son projet. S’il l’aidait, c’était simplement parce qu’il avait lui aussi une famille à protéger et qu’il savait que c’était le seul moyen. Il avait longuement réfléchi depuis que la jeune femme avait pris sa décision, mais il n’avait trouvé aucune autre solution. Et il s’en voulait également pour cela… Son incapacité à trouver une solution meilleure que la fuite… La jeune femme s’emporta dans un sanglot incontrôlable alors que leur petit avion décollait pour quitter définitivement Great Falls.
Ce n’est que quelques heures plus tard qu’il brisa le silence, sortait également la tueuse à gage de sa somnolence relative. Il avait demandé à Myriam de lui dire quel prénom l’éthologue avait choisi, en toute innocence, prétextant vouloir en faire part à Naïg, et la cavalière venait de lui envoyer la réponse.
« Il lui a donné un nom. »
Moïra releva les yeux vers le coréen, pleine d’espoir, et il ne fit pas planer le suspense plus longtemps.
« Cathleen Bérénice Abraams-Todd… »
Les lèvres de la jeune femme tremblèrent et de nouveau elle éclata en sanglot. Mais cette fois, le coréen fut incapable de rester en face d’elle. Il plaça un plaid autour des épaules de la jeune femme et rejoignit Luis dans le cockpit, en silence. Le pilote le laissa faire, d’un regard entendu. Il n’y avait plus qu’à attendre la fin de ce vol interminable… Et chercher une solution pour mettre fin à toute cette histoire…
La situation rendait Myriam quelque peu mal à l’aise. Les conditions dans lesquelles l’irlandais devenait père étaient très loin d’être idéales. Non seulement il n’avait pas pu suivre la grossesse de sa compagne mais il n’avait pas non plus eu le choix. Bien que le connaissant -Myriam ne pouvait pas même concevoir qu’il choisisse l’avortement- la nouvelle lui était tombé dessus d'un seul coup, telle une épée de Damoclès s'abattant sur le destin. Mais en plus de cela, il devait avoir bien du mal à se positionner face à cette enfant. Ils avaient tous tendance à oublier le passé des autres, mais dans l’équipe, Izikel était l'un de ceux qui avait le plus lourd bagage. Il faisait son possible pour le leur faire oublier sans le renier, mais Myriam, elle, n’oubliait pas qu’il n’avait jamais eu de père. Qu’il n’avait d’ailleurs jamais connu ses parents biologiques. Abandonné dès la naissance aux portes d’un couvent, il avait été élevé au sein de la congrégation de sœurs bénédictines qui l'habitait, en ne connaissant un univers qu’exclusivement féminin et religieux durant bien des années. Malgré tout, il n’avait pas suivi la voie religieuse et s’était détaché de tout cela quand était venu le temps d’entamer des études un peu plus sérieuses. Mais jamais avant que Maël ne vienne au monde il n’avait vu de figure paternelle en action… Il devait sans doute être complètement perdu face à ce nouveau rôle qu’il devait endosser… Mais Myriam, paradoxalement, ne doutait pas de lui. Malgré le fait qu’il ne sache pas ce que c’était que d’être père, il avait toujours eu un comportement exemplaire avec Maël. Ferme quand il le fallait, mais aussi très tendre et affectueux aux moments opportuns. Il avait posé des limites que Maël respectait de façon exemplaire avec lui, là où le petit homme testait toujours les limites face aux autres. D’ailleurs, Izikel était sans aucun doute le cavalier préféré de Maël au sein de l’équipe. Et c’est principalement pour cette raison que Myriam pensait fortement à lui pour être le parrain de son fils…
Une pluie fine tombait sur Great Falls quand ils sortirent de l’aéroport. Kwaïgon avait tout prévu pour leur voyage. Une voiture était réservée et les attendait à la sortie de l’avion. Un appart-hôtel proche de la maternité avait été payée d’avance. Ils n’avaient rien à faire, si ce n’est un peu de paperasse et attendre que la petite ait ses papiers pour pouvoir quitter le pays et rentrer au Haras avec elle. Izikel se laissait conduire et suivait Myriam avec discrétion. Il ne pleurait plus depuis quelques jours maintenant, mais il était soucieux et cela se lisait sur son visage. Il refusait toujours de parler de Moïra, refusant ne serait-ce que de croire qu’elle pouvait être morte. Pour lui, c’était simplement une vaste blague de mauvais goût. Il n’expliquait pas la présence de sa fille mais l’acceptait. Difficilement mais il l’acceptait. Ils roulèrent en silence jusqu’à l’hôtel pour y laisser leurs affaires, avant de ressortir à la recherche d’un restaurant où déjeuner. Ils avaient rendez-vous avec Sarah Smith, l’assistante sociale qui avait fait le déplacement jusqu'au Haras, pour le début d’après-midi. Myriam redoutait ce moment car elle n’avait aucune idée de la façon dont allait réagir l’irlandais. Est-ce qu’il allait fondre en larme ? Ou au contraire prendre sur lui et rester stoïque ? Ou encore rester léthargique, enfoncer dans son profond mutisme ? À la vue de son état actuel, la jeune femme n’en avait aucune idée, et cela lui faisait un peu peur…
Comme s’y attendait l'éleveuse, l’irlandais se contenta d’avaler son troisième café de la journée et un club sandwich très loin d’être assez nourrissant pour lui. Il ne mangeait presque plus rien depuis que Myriam lui avait annoncé la mauvaise nouvelle et il avait perdu du poids. Cela se voyait sur son visage : il avait les joues creusées et le teint pâle. Ses yeux cernés étaient également un gage de la grande fatigue qui l’habitait mais de cela, elle avait un peu plus l’habitude désormais. Myriam ne fit aucun commentaire. Elle savait qu'il se braquerait et ce n’était certainement pas le moment pour cela. Elle s’employa donc à lui parler des chevaux, des poulains à naître, des élevages, mais c’était sans succès. L’éthologue restait absent, le regard vide, à faire des réponses courtes. Mais la jeune femme mit un point d’honneur à ne pas abandonner et l'irlandais se laissait faire, ne faisant lui aussi aucune remarque alors qu’il avait très bien comprit où elle voulait en venir…
Le déjeuner terminé ils reprirent la route pour rejoindre l’hôpital. Sur place, Sarah les attendait déjà, tout sourire. Elle leur tendit à chacun une main chaleureuse, qu’ils serrèrent avec la même conviction mitigée.
« Bonjour ! Bienvenue à Great Falls ! »
« Bonjour Sarah ! Merci ! »
« Ce n’est pas le meilleur jour de l’année mais bon… On y va ? »
Izikel lui servit un faible sourire et acquiesça. Une fois encore il avait gardé le silence, mais il avait le regard un peu plus éveillé, ce qui était déjà un bonne chose.
« On vous suit ! »
Sarah sourit de toutes ses dents et les précéda dans le hall de l’hôpital, les faisant échapper aux gouttes glacées de la pluie automnale du Montana. L’hôpital grouillait d’activité, comme c’était souvent le cas dans ce genre d’endroit. Ils traversèrent un dédale de couloir et prirent un ascenseur pour aller dans une aile plus calme du complexe. Contrairement à ce que la jeune femme attendait, il n’y avait pas de cris de bébés ou autre chose du genre. L’endroit était calme et étrangement silencieux. La lumière grise entrant par la file de baies vitrées sur un côté du couloir n’amenait pas beaucoup de gaieté, ce qui n’arrangeait pas les choses. Izikel restait silencieux, les mains dans les poches, le regard vers l’extérieur, un peu anxieux. Myriam le voyait à la légère ride qui barrait son front. Cependant elle continuait de discuter avec Sarah, joyeusement. L’assistante sociale lui expliquait à quel point elle était contente qu’ils soient venus chercher l’enfant. Malgré le fait que ce soit en parti son travail, cela lui fendait le cœur de devoir trouver des foyers ou familles d’accueil pour les enfants qui était régulièrement abandonnés ou orphelins. Elle avait également bien compris que le cas du jeune homme était particulier et dans sa profession, bien que cela soit déjà arrivé, une telle extrême restait exceptionnelle. Elle était même admirative de la réaction du jeune père. Elle avait déjà vu des hommes nier en bloc et refuser même de voir leur enfant. L’irlandais écoutait d’une oreille distraite. Au fil des pas, il se rendait de plus en plus compte de ce qui était en train de se passer. Il ne savait pas s’il était prêt ou non. Il ne se posait pas ce genre de question. Il ne savait pas non plus ce à quoi il devait s’attendre et comment les choses allaient se dérouler par la suite. Il savait qu’à partir de ce jour, sa vie entière changerait. Mais il n’arrivait pas à mesurer à quel point. Il n’arrivait plus à imaginer ce que serait son avenir. Il vivait au moment présent. Pas même jour après jour, ou heure après heure, mais vraiment à la minute, improvisant complètement. Cela faisait bien des jours maintenant qu’il avait perdu l’entier contrôle de sa vie… Il était en roue libre et il détestait cette sensation. Mais d’un côté, il était curieux de voir où tout cela le mènerait. Une part de lui vivait le moment à l’instant présent et une autre, complètement détachée, observait la scène de plus haut et se demandait ce qui allait se passer. De même qu’une part de lui se sentait lasse, incapable de faire quoi que ce soit, vide de toute émotion alors qu’une autre tentait de réfléchir et d’amener un peu de sérénité à la situation ; en vain. Le vide était trop grand pour qu’autre chose puisse prendre le pas dessus.
Ils finirent par entrée dans un bureau. Une infirmière était là, en blouse rose. Ses cheveux blonds relevés en chignon lâche. Ses yeux clairs étaient joyeux, bien qu’un petit quelque chose de grave teintait ses traits. Elle les salua d’un sourire circonspect, ne sachant trop comment réagir face à cet homme détruit. Ils s’installèrent tous les quatre autour d’une petite table ronde et « les choses sérieuses » commencèrent. Cette fois, Izikel ne pouvait plus garder le silence. Il était obligé de participer. Cela concernait son enfant… Son sang…
« Alors pour commencer, voici la déclaration à finir de remplir ! En fait il ne manque plus que les prénoms de cette petite demoiselle. Vous avez choisi alors ? »
Sarah sourit à l’éthologue qui réussit à étendre un peu les lèvres en un sourire qui n’en était pas vraiment un, mais c’était la première fois depuis des jours que Myriam le voyait ainsi. Alors elle n’allait pas s’en plaindre.
« Oui je crois… Se sera Cathleen pour le prénom principal… Et Bérénice pour le second prénom… Et si c’est possible, j’aimerais qu’elle porte nos deux noms de familles, à sa maman et moi. »
« C’est très jolie ! Pour les noms de famille, je pense que c’est possible. Se serait donc Abraams-Todd ? »
« Oui, exactement. »
« Très bien. Mademoiselle McAvoy va vous parler de la petite Cathleen alors. C’est principalement elle qui s’en est occupé cette semaine. »
Sarah sourit à nouveau alors qu’Izikel remplissait rapidement la fin du formulaire, signant au bas de la feuille. L’infirmière posa les avant-bras sur la table, croisant les doigts devant elle et sourit également aux deux cavaliers.
« Avant de commencer, je suis contente que cette petite Cathleen puisse aller dans sa famille… C’est… Une bonne chose. On avait peur que personne ne veuille d’elle… Elle est… Une enfant très calme. Légèrement prématurée mais en bonne santé. Elle fait un peu plus de quarante centimètres et pèse deux kilos deux. Une petite crevette donc mais elle est absolument adorable. Elle ne pleure que très peu et est très alerte pour son âge ! Ce qui est plutôt bon signe… »
« Je ne pouvais pas… Me résoudre à l’abandonner. C’était inconcevable. »
Il était sincère, cela pouvait se sentir dans sa voix autant que se lire dans son regard. Et cela rassura Myriam. Il ne rejetait pas l’enfant, même si pour lui, le fait d’apprendre son existence et même de concevoir simplement son existence aussi abruptement devait être aussi difficile que douloureux. La jeune ostéopathe n’arrivait même pas à imaginer à quel point la chose devait être compliquée pour lui. Cela lui prouvait à quel point, encore une fois, il était d’une grandeur d’âme sans bornes. Elle serait devenue folle si une telle chose lui arrivait… Dans une mesure différente étant donné qu’elle pouvait difficilement être maman sans le savoir. Elle était tout simplement incapable de rassembler autant de sang-froid et d’énergie pour faire ce qu’il faisait. Au quotidien tout comme dans des moments extrêmes comme celui-là. Elle n’avait jamais cessé de le penser mais cela la frappait plus encore maintenant : Izikel était vraiment un homme exceptionnel. On ne croisait que très rarement dans sa vie des hommes comme lui. Elle eut une bouffée de fierté envers celui qu’elle considérait comme son petit frère et bien d’autres choses encore. Elle était plus que ravie de pouvoir le considéré comme faisant partie de sa « famille ».
« Je suis contente de l’entendre. Je vous la ramène ? Elle est à la nurserie mais elle peut sortir désormais, elle n’a plus besoin de soins. »
« Oui s'il vous plaît... Tant mieux… »
Il eut un faible sourire et inspira profondément alors que l’infirmière sortait de la salle. Myriam sentait que le jeune homme se tendait un peu. On arrivait au moment fatidique. Elle sentait qu’il prenait sur lui, tout en arrivant à garder son calme. Un véritable exploit. Sarah reprit la parole au départ de l'infirmière, un joyeux sourire sur les lèvres.
« Vous allez rester quelques temps ici avant de rentrer à l’Académie ? »
Les deux cavaliers échangèrent un regard. Izikel laissa Myriam répondre, l’y incitant d’un doux hochement de tête.
« Oui. Le temps que la petite ait des papiers temporaires. On ne pourra pas passer les douanes sinon… On a loué un petit appartement en attendant de pouvoir repartir. On a aussi quelques achats à faire pour la petite… »
« Vous n’aurez pas trop à prendre au début, les infirmières lui ont déjà offert plein de choses ! »
« Une petite très gâtées alors ! »
« Oh oui ! C’est la petite mascotte de la nurserie ! Toutes les infirmières s’occupent d’elle. Elles en sont folles ! »
La jeune femme sourit et Myriam fit de même. Elle n’avait jamais vu de bébé rejeter par le service maternité mais une affection plus grande que la moyenne était toujours possible. Surtout pour un bébé dans son cas… Ils poursuivirent leur conversation, surtout les filles, jusqu’à ce que l’infirmière revienne, poussant devant elle un berceau transparent. Le bébé à l’intérieur somnolait, emmitouflé dans une couverture chaude rose. Elle portait un pyjama rose pâle orné de petits cœurs roses et un bonnet rose lui tombant un peu sur les yeux. Myriam redoutait un peu ce moment mais toutes ses craintes s’envolèrent quand elle vit la réaction d’Izikel…
Dès que la porte s’ouvrit, l’éthologue se leva de sa chaise pour s’approcher doucement du berceau. Ses gestes étaient un peu hésitants mais il avait un regard sûr malgré sa mine un peu grave. L’infirmière arrêta le berceau près de lui et le laissa faire, sagement. La petite Cathleen ouvrit les yeux et croisa le regard de son père. Même si à cet âge-là elle ne voyait que des formes floues, elle ouvrit ses grands yeux bleus et fixa son père, sans que celui-ci ne puisse détacher son regard d’elle. Ils restèrent ainsi un moment, sans bouger. Izikel retenant à grand peine les larmes qui menaçaient au bord de ses yeux. Les trois jeunes femmes n’osaient rien dire, de peur de briser cette première rencontre hors du commun. Finalement, c’est Cathleen qui brisa le silence, en remuant ses petits bras et secouant un peu la tête, une grimace se peignant quelques secondes sur son visage. L’éthologue releva les yeux vers l’infirmière et demanda avec précaution, la voix enrouée par l’émotion.
« Je peux la prendre ? »
« Bien sûr allez-y. C’est bientôt l’heure du biberon. Je vous laisse faire un peu connaissance le temps que j’aille le préparer. Je reviens tout de suite. »
Elle sourit et s’éclipsa doucement alors que le jeune homme se penchait sur le berceau pour prendre la petite Cathleen avec une délicatesse infinie. Le père et la fille ne se quittèrent plus des yeux après ça. Le tout jeune père s’installa dans un fauteuil et pour la première fois depuis ce qui semblait être à Myriam une éternité, un vrai sourire passa sur ses lèvres…
***
Musique : Zack Hemsey – The Way
Musique : Zack Hemsey – The Way
Kwaïgon descendit du jet peu après l’heure d’atterrissage de Myriam et Izikel. Le remord lui rongeait déjà les tripes, mais il ne pouvait pas faire autrement. Il savait qu’il allait faire du mal à Izikel et il se détestait pour cela. Comment pouvait-il lui faire ça ? Lui qui s’était promit de tous les protéger… D’un côté, c’est ce qu’il faisait. Il protégeait Izikel. Mais de l’autre, il avait l’impression de lui planter un couteau dans le dos. A lui comme à Myriam d’ailleurs… Il soupira et regarda sa montre, immobile sur la dernière marche de son jet. Au loin, une ambulance blanche roulait silencieusement dans sa direction. Autour de lui, au pied de l’avion, le personnel de l’aéroport s’affairait. Il fallait refaire le plein et les contrôles avant le départ. Ils ne resteraient pas très longtemps sur le sol américain. Il glissa de nouveau la main dans sa poche, fixant des yeux l’ambulance, sa gorge se serrant en repensant à l’enchaînement des événements… Il s’en était fallu de peu pour qu’ils soient découverts. De quelques secondes seulement en réalité…
Le pilote s’approcha de lui, tenant un parapluie au-dessus de sa tête et un autre dans sa main. La pluie fine et glaçante qui tombait sur Great Falls arracha un frisson à l’homme en uniforme. Il se posta derrière le coréen et regarda lui aussi l’ambulance arriver doucement. Elle n’était plus très loin maintenant.
« Tenez. La pluie est loin d’être agréable quand on est convalescent. »
« Merci Luis. »
Le coréen prit le parapluie qu’il lui tendait et l’ouvrit tout doucement. Cela faisait des années maintenant qu’ils se connaissaient tous les deux. A chaque fois que Kwaïgon en avait eu besoin, Luis s’était montré présent. Lui et son jet privé. Une « amitié » de longue date que Kwaïgon entretenait chaque année au moment des fêtes, avec un cadeau assez conséquent pour lui offrir, pour une année supplémentaire, les services et le silence du pilote hollandais. Service que seul une personne au monde partageait avec le coréen et ce n’était autre que son maître et mentor : Mr Tanaka.
« Nous serons prêt à repartir d’ici une quinzaine de minutes normalement. J’ai eu la validation du créneau pour Tokyo. »
« Parfait. Nous n’allons pas trainer de toute façon. »
Le pilote adressa un signe de tête bref au coréen et remonta dans l’avion, repliant son parapluie en entrant dans la cabine. Pendant ce temps-là, le camion de fuel avait fini de faire le plein et repartait tandis que l’ambulance se garait devant le coréen. Deux infirmiers ouvrirent la porte latérale et transportèrent au sol un fauteuil roulant. La jeune femme assise dessus, le teint encore pâle, leva les yeux vers le coréen. Elle avait des cernes et ses yeux étaient rougies de larmes. Elle échangea un regard grave avec le coréen mais n’eut pas le temps de plus : les deux infirmiers reprenaient le fauteuil pour le monter dans l’avion. Le coréen s’écarta pour les laisser passer et observa les alentours d’un œil alerte. Simple habitude, il n’avait rien à craindre ici. Il soupira encore avant de monter à la suite des ambulanciers. Ils échangèrent des amabilités avec le coréen –sous forme d’une liasse de billets verts chacun- avant de repartir dans leur ambulance. Luis vint les saluer et fermer la porte avant de repartir dans son cockpit, laissant le coréen seul avec son « invitée ». Kwaïgon s’installa en face de la jeune femme sans un mot, ne pouvant cependant pas s’empêcher de lui lancer un regard accusateur. S’il trompait les siens, c’était à cause de son souhait à elle. Une larme perla sur sa joue et elle détourna le regard. Cela lui faisait aussi mal qu’à lui, si ce n’est plus. Elle ne trompait pas seulement celui qu’elle aimait, elle abandonnait aussi son enfant… Entre de bonnes mains, certes, mais elle l’abandonnait tout de même.
« S’il te plait Kwaïgon… Pardonnes moi. »
Le coréen ne répondit pas. Il préférait ne rien dire plutôt que de lui mentir. Malgré tout ce qu’ils avaient vécu ensemble, il était pour l’instant incapable de lui accorder son pardon. Il comprenait, mais cela ne voulait pas dire qu’il cautionnait son projet. S’il l’aidait, c’était simplement parce qu’il avait lui aussi une famille à protéger et qu’il savait que c’était le seul moyen. Il avait longuement réfléchi depuis que la jeune femme avait pris sa décision, mais il n’avait trouvé aucune autre solution. Et il s’en voulait également pour cela… Son incapacité à trouver une solution meilleure que la fuite… La jeune femme s’emporta dans un sanglot incontrôlable alors que leur petit avion décollait pour quitter définitivement Great Falls.
Ce n’est que quelques heures plus tard qu’il brisa le silence, sortait également la tueuse à gage de sa somnolence relative. Il avait demandé à Myriam de lui dire quel prénom l’éthologue avait choisi, en toute innocence, prétextant vouloir en faire part à Naïg, et la cavalière venait de lui envoyer la réponse.
« Il lui a donné un nom. »
Moïra releva les yeux vers le coréen, pleine d’espoir, et il ne fit pas planer le suspense plus longtemps.
« Cathleen Bérénice Abraams-Todd… »
Les lèvres de la jeune femme tremblèrent et de nouveau elle éclata en sanglot. Mais cette fois, le coréen fut incapable de rester en face d’elle. Il plaça un plaid autour des épaules de la jeune femme et rejoignit Luis dans le cockpit, en silence. Le pilote le laissa faire, d’un regard entendu. Il n’y avait plus qu’à attendre la fin de ce vol interminable… Et chercher une solution pour mettre fin à toute cette histoire…
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