Chapitre 08
Episode 06
Les tourments de son âme ;
« Nate ! Nate ! Je t'en prit ! Ne fais pas ça... » Pieds ancrés au sol, bras tendu, les deux mains refermées sur la crosse, je tiens en joue ma mère, à genoux à un mètre de moi, les joues ravagées par les larmes. Derrière moi se tient mon père, les bras croisés dans le dos, il attend. Tout comme les quelques dizaines de personnes venu assisté au spectacle qu'est l'exécution d'un traître. J'ai huit ans. Mon bras tremble et la voix de mon père, froide et dure, retentit dans mon dos. « Nate, on n'a pas toute la nuit. » J'expire lentement, comme il me l'a apprit et je ferme les yeux pour me calmer. Je fais cesser les tremblements dans mes bras. Quand j'ouvre les yeux, je croise le regard de ma mère, aussi bleu pâle que le mien. Il est suppliant. Quand elle parle, ce n'est qu'un murmure. « Je t'aime Nate... Je t'aimerais toujours... Fais ce qu'on a dit. Je t'en supplie... » Je hoche la tête, ou du moins, j'ai l'impression de le faire. J'expire de nouveau lentement dans un dernier échange de regard entendu. Quand je presse la détente, je ferme les yeux et j'entends son dernier cri « Nate ! »
Je me réveilles en sursaut et en sueur, emmêlé dans mes draps. Il me faut quelques secondes pour reconnaître ma chambre au Haras qu'est Full Horse, le symbole de ma nouvelle vie qu'elle représente. Je m'assoie contre la tête de lit et pose le front dans mes paumes, les coudes sur mes genoux replié. Je ferme les yeux et apaise ma respiration haletante en murmurant.
« Je suis Alejandro Cowie, je suis coach de l'élevage Narita's Travellers et j'ai vingt sept ans. Je suis Alejandro Cowie, je suis coach de l'élevage Narita's Travellers et j'ai vingt-sept ans. Je suis... »
Il ne me faut pas plus d'une vingtaine de secondes pour retrouver une respiration lente et calmer la panique qui montait en moi. Je soupire, lentement, profondément, en me détendant. Quand j'ouvre les yeux, je suis à nouveau moi même. Je jette un oeil au réveil et me lève. Il est cinq heures, et largement l'heure d'aller courir. J'enfile un jogging, un t-shirt et je sors. Ce matin, je ne dois pas retrouver Madison pour aller courir, il est trop tôt. Par courtoisie, je lui envoie un sms pour la prévenir que je suis partie plus tôt que prévue et je lance la musique avant de glisser le téléphone dans ma poche et mettre les écouteur dans mes oreilles. Dans le hall, je me sers des marches pour faire mes lacets et après quelques bonds sur place pour désamorcer mes articulations, je sors à petites foulées, au hasard sur les chemins du Haras.
« Nate » ... Voilà bien longtemps que l'on ne m'avait pas appelé comme ça. Mais la question qui me taraude le plus est « Pourquoi ? » Pourquoi maintenant ? Pourquoi cet épisode de ma vie revient ainsi ? Il doit y avoir une explication logique. Il y en a toujours une... Peut-être en relation avec la date ? Quel jour est on... C'est peut-être l'anniversaire de sa mort... Ou le mien. Machinalement je regarde la date du jour et ma gorge se serre. C'est en effet mon anniversaire. Enfin, pas celui d'Alejandro Cowie. C'est celui de Nate Miller.
Mais Nate Miller n'existe plus, depuis une vingtaine d'année. Alors pourquoi remonte-t-il à la surface maintenant ? J'ai une nouvelle vie depuis peu. Je suis un autre homme depuis plus de quinze ans. Que se passe-t-il ? La rage me submerge au fur et à mesure des souvenirs de Nate qui remontent à la surface. L'exécution de ma mère, ma découverte du complot qui a conduit à sa mort et l'exécution de mon père, de nouveau de ma main, mais pas par obligation ; par choix, par vengeance. J'avais huit ans à l'époque... Je serre les dents et accélère le rythme malgré ma course soutenu et mes poumons en feu. Je cours pour oublier. Pour oublier le môme que j'étais et qui a tué ses parents. J'accélère encore, retenant un cri de rage entre mes dents et m'arrête au bout d'un kilomètre, incapable de tenir ce rythme plus longtemps. Malgré tout je suis incapable de rester immobile. Mes jambes tremblent, à moins que ce ne soit tout mon être ? Je tends une main devant moi pour en avoir le coeur net : elle est incapable de rester immobile et je suis incapable de l'y obliger. De rage, je serre le poing et frappe le premier tronc qui est à ma portée. La douleur du choc me calme un peu. Je regarde ma main en sang et déplie les doigts : il n'y a rien de cassé. Il faut que je me calme, avant de me faire du mal. Je me laisse glisser contre le tronc et pose mon front dans mes paumes, coudes sur les genoux, jambes repliées et je murmure, encore et encore, calmant ma respiration à chaque syllabe.
« Je suis Alejandro Cowie, je suis coach de l'élevage Narita's Travellers et j'ai vingt sept ans. Je suis Alejandro Cowie, je suis coach de l'élevage Narita's Travellers et j'ai vingt-sept ans. Je suis... »
Il ne me faut pas plus d'une trentaine de seconde pour retrouver mon sang-froid et maîtriser le tremblement. Et un peu plus d'une minute pour retrouver une respiration normale. Pour m'aider à me concentré, je fixe un point à l'horizon et compte mes pulsation cardiaque, deux doigts sur ma jugulaire. Une fois un rythme acceptable en place, je ferme les yeux et fait le vide en moi. N'y repense plus. Ce n'est pas toi. Nate Miller est mort. Il avait neuf ans. Il a chuté de la falaise après avoir tué son père. Il s'est suicidé parce qu'il ne supportait plus la pression du clan. C'est ce qu'ont dit les journaux et ils ont raisons. N'y pense plus...
Sauf que Nate Miller n'est pas mort de sa chute de la falaise. Il a été retrouvé par Pierce Finnegan, au bord de la mort.
Le jet de la douche, glacé, m'avais remit les idées en place. Après avoir distribué la ration de grain de l'élevage, j'avais reprit le chemin du Manoir et de ma chambre. D'ailleurs, depuis peu, j'avais un nouveau colocataire. Izikel avait été changé de chambre à sa demande. Je crois que la trop grande proximité avec Ezra ne lui convenait pas vraiment. Il voulait prendre du recul et c'est quelque chose que je concevais parfaitement. J'avais donc prit une douche, bandé ma main ensanglantée après l'avoir nettoyé et m'étais rhabillé. Je me croyais incapable de tenir toute une journée dans un pantalon d'équitation mais au final, ces petites choses étaient bien plus confortables qu'on ne le pensait. C'est sur les coups de sept heures que j'avais rejoint Liam pour le préparation du petit déjeuner. Il n'avait pas fait de remarque sur mon poing mais je savais que tôt ou tard, quelqu'un allait poser la question. Et se serait sans doute Ezra ou Dean et leurs curiosités maladives.
Je soupire, assit sur le bout du banc, à côté de Liam et fixe mon café d'un air distrait. Pour une fois, Kwaïgon est en face de moi. Je ne sais pas pourquoi il s'est levé aussi tôt. Nous ne sommes que tout les deux, Liam s'est éclipsé pour aller réveillé son fils. Il est encore trop tôt pour les autres. Cela doit faire bien deux minutes que j'essaie d'éviter le regard de Kwaïgon coûte que coûte. Il me gêne. Il me fixe depuis que Liam est parti, sans aucun expression. Cet homme m'agace et me rend admiratif en même temps. Il a un tel self control de lui même... Mais j'ai l'impression qu'il lit en moi comme dans un livre ouvert dans sa langue natale. Et ça me met hors de moi. Il sait. Je sais qu'il sait. Il sait tout de toute façon. On ne peut absolument rien lui caché. Il est exactement comme Pierce et parfois, j'en viens à penser qu'ils ont été formé par le même homme. D'ailleurs, cela ne m'étonnerais pas qu'en réalité, Kwaïgon et Pierce se connaissent. D'une façon ou d'une autre. Et je me demande d'ailleurs pourquoi il n'arrive pas à retrouver Moïra... Lui qui a passé neuf mois en sa compagnie... Ils ont dû créer un lien... Ou alors il sait où elle se trouve mais il garde cette information pour lui. Ce qui ne l'étonnerais pas non plus. Il sait ce que cette information représente pour Izikel et s'il ne la lui donne pas, c'est qu'il doit avoir une excellente raison. Et cela me brûle les lèvres de lui demander pourquoi. Mais au moment où je vais le faire, que je relève enfin les yeux sur lui et que la phrase se formule dans mes pensées pour arriver jusqu'à ma bouche, il me coupe l'herbe sous le pied et parle. Est-il ne serait qu'humain pour avoir un tel timing ? Un tel instinct ? J'en viens à me demander si ce n'est pas un extraterrestre qui sait lire dans les pensées... Ou un robot, aussi à cause de son manque d'expression faciale...
« Joyeux Anniversaire. »
... Je suis tellement choqué que je ne réagis pas immédiatement. J'écarquille les yeux, je sens mes pupilles se dilatées et un picotement me remonter l'échine, dressant les petits cheveux de ma nuque et me provocant des fourmis dans les doigts. Il me faut une seconde de trop pour retrouver mon sang-froid. Et c'est une seconde qui n'a pas échappé à Kwaïgon. Machinalement je baisse les yeux sur mon café et soupire.
« Qui d'autre le sait ? »
Il hausse les épaules, je le vois du coin de l'oeil et il ne me quitte pas des yeux. S'il a attendu que Liam parte pour me dire ça, il aura la délicatesse de ne le révélé à personne. Je soupire encore et passe une main sur ma nuque en fermant brièvement les yeux. Il ne faut surtout pas que ça se sache. Par contre, je ne sais pas d'où il tient cette information, et ça me ronge. Je le fixe avec une flamme malveillante dans le regard. Il reste impassible. Encore.
« Comment l'as-tu su ? »
« On a tous nos secret Ale. Mon job c'est de les découvrir. Mais si tu y tiens vraiment, je le tiens de Pierce. »
Je le savais.
« Personne ne doit savoir. »
« Je sais. »
« Et ce n'est pas mon anniversaire. »
« Bien sûr que si Alejandro. Tu ne peux pas faire comme si ton passé n'existait pas... Il faut simplement que tu arrives à vivre avec. Je ne dis pas que c'est facile, mais ça fait parti de toi. Ne l'ignore pas. »
Je soupire une fois encore et me replonge dans mon café. Il a raison, comme toujours. Il me désespère. Comment fait-il ? Il y arrive avec les chevaux, presque comme par magie, et je n'arrive pas à savoir d'où ce feeling avec les animaux lui vient. Il est d'une efficacité redoutable avec une arme et au volant d'une voiture. Il a toujours un nombre d'informations incalculable dans la tête. Il a toujours raison. Définitivement, il n'est pas humain. C'est d'ailleurs peut-être pour ça que je ne le vois jamais avec une femme... Ou un homme.
« Merci. »
Il a un bref hochement de tête et détourne enfin les yeux de moi pour allumer son portable et consulter toutes les applications d'informations qu'il a pu trouver. Nous sommes rejoint par le reste de la troupe, qui arrive au compte goûte. Izikel, Dean, Ezra, Logan, Neyla, Lou, Siobhan, Louna, Myriam et enfin, Liam et son fils. C'est Ezra qui me demande ce que j'ai à la main, et je mens. Je lui raconte que j'ai trébuché sur une racine en courant. Il se contente de hausser un sourcil et se replonge dans son café. Je suis irritable ce matin et ils ont dû le sentir car plus personne ne m'adresse la parole du petit déjeuner. Liam annonce le planning du jour et chacun va à ses occupations. Je dois distribué les rations de foin et commencé à sortir les chevaux au paddock. Avec un soupir, je me lève et me dirige vers l'élevage...
« Penses à tes mains Ale. » Concentré sur la nuque d'Invictus, j'en oublie le reste de ma position, qui est perfectible. C'est difficile pour moi de rattraper le niveau des autres. Heureusement, ma condition physique m'aide à être un peu plus performant et Invictus ne me laisse rien passer -tout comme Liam et Logan- mais j'ai quand même des lacunes. Je dois sans cesse faire un check-up dans ma tête de tout les points de soi-même auquel il faut faire attention quand on est en selle. Les mains, le regard, les épaules, le bassin, les talons, les mollets, les genoux... Trop de choses. Ce matin, mon esprit divague trop. Je comprends mieux pourquoi on dit souvent que pour monter à cheval il faut se vider la tête... Il y a tellement de choses à penser une fois en selle qu'il n'y a de place pour rien d'autre... Je soupire et le bai en profite pour faire un écart. Il a senti mon relâchement alors que ce n'était pas le moment. Je me crispe de nouveau, bascule mes épaules un peu plus en arrière et serre les jambes. Il reprend son trot de travail de base. Ce cheval est une vraie plaie. Mais il est fait pour moi : il me fait douter de moi, à chaque instant, mais me récompense quand nous atteignons une parfaite osmose... Ce qui n'arrive pas assez souvent. Je place mes aides et il prend le galop, instantanément. Je ne peux pas lui reprocher son dressage : il est parfait. Par contre lui me reproche mon équitation, et il a bien réussi à me le faire comprendre. Parfois, je me dis qu'il est trop exigeant pour moi...
Nous travaillons sur le plat durant encore une demi heure avant que je ne reprenne le pas et lui rende les rênes, signal tacite de la fin de la séance. Il se relâche enfin et me pardonne mes erreurs. Je me penche sur son encolure pour lui gratter doucement le garrot, et nous prenons le chemin des écuries. Ce matin est consacré aux chevaux de propriétaire... Ceux qui nous appartiennent et non les chevaux d'élevage. En gros, ce sont des séances de plat avec nos chevaux, assez libres. Tout le monde travaille en même temps... C'est de l'entretien pur. Une fois devant l'allée de Louna je me laisse glisser par terre et je conduis le bai dans l'espace douche de l'élevage. Je le desselle et lui enlève ses bandes avant de le doucher. Il porte encore son filet et n'est pas attaché, mais je sais qu'il ne bougera pas. Après un pansage complet, j'échange son filet contre un licol et je l'emmène directement au paddock, où je le lâche pour l'après-midi. Il sera mieux dehors que dans son box... Je retourne à l'élevage et m'arme d'une fourche. Il est presque midi, je n'ai pas le temps de monter un autre cheval. Ils sont tous au paddock, alors je profite des box vides pour en enlever les souillures. Il me faut un certain temps pour faire tous les box. Et quand je vide ma brouette à la fumetière, il est l'heure de déjeuner. Je range mon matériel et je rejoins l'équipe dans la salle à manger, d'humeur maussade. Une ombre plane au dessus de moi et je sais ce que c'est... Mais je n'ai pas envie de me rendre à l'évidence...
Après le déjeuner, il y a toujours un temps de repos pour l'équipe, avant que le cours suivant ne commence. Cet après midi, je me retrouve à devoir monté Caraanu Pi pour une séance de saut. Mais avant d'en arrivé là, je m'isole dans ma chambre. Il est rare que j'y monte en journée, mais aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres. J'ai été d'humeur morose toute la journée, et ça ne me ressemble pas. Il faut que je me ressaisisse. Que je redevienne le Ale que les autres connaissent. Je m'enferme dans ma chambre et me laisse tomber sur mon lit aux draps défait. Je fixe le plafond en essayant de faire le vide, en respirant calmement. Je ferme les yeux un moments et ne pense plus à rien. Une respiration calme... Mes paupières me pèsent de plus en plus... Ne penser à rien... Respirer profondément...
« Tu as le droit de changer d'identité. Tu peux décidé d'être un autre garçon à partir de maintenant. Ou remonter et reprendre ta place dans le clan. » Mon sang se glace. Retourner là-bas ? Pour rien au monde. De toute façon, le conseil ne comprendrait pas. J'ai tué mon père, un membre du conseil, sans raison apparente : c'est considéré comme une trahison. Mieux vaut qu'ils croient que je suis mort en tombant de la falaise. Après tout, c'est ce que je voulais à la base. Je voulais leur enlever cette satisfaction : celle de me tuer. « Alejandro Cowie. Je veux m'appeler Alejandro Cowie. » Pierce sourit. « Alors dans ce cas... Bonjour Alejandro, je suis Pierce. Je suis ravi de te connaître. » Je serre la main qu'il me tend avec un sourire, pour répondre au sien. Je suis Alejandro Cowie, j'ai neuf ans et je vis avec Pierce Finnegan. Je suis...
Encore une fois je me réveille d'un coup, ouvrant les yeux sur le plafond blanc. Une sueur froide me parcours l'échine et je mets un moment à comprendre que c'est à cause de ... Kwaïgon ?! Je sursaute et recule dans mon lit précipitamment pour finalement buter sur la tête de lit.
« Putain Kwaï' ! Mais comment t'es rentré ? »
« J'ai la clé. »
Il a haussé les épaules avant de répondre, ce qui me désespère encore plus. Ce type n'est pas humain. Il n'est pas normal. Je ferme les yeux un instant et soupire pour me calmer, avant de le fixer à nouveau.
« Qu'est-ce qui se passe ? »
Il fronce les sourcils et se cale sur mon fauteuil.
« Liam t'as donné ton après midi. Et demain c'est repos. C'est au tour d'Ezra de s'occuper de l'élevage pour que tu ai ta journée de repos complète bi-hebdomadaire. »
Je fronce les sourcils... Mon après midi ? Ce n'est pas dans les habitudes de Liam et je dois monter Cara... Je jette un oeil au réveil et encore une fois un frisson glacé me parcourt. J'ai loupé le cours. Il est en train de se dérouler.
« Merde !! Pourquoi personne ne m'a réveillé ?! Bordel de merde ! »
« En fait on a essayé, mais tu répondais pas. Donc Liam m'a envoyé voir si tu allais bien. »
J'ai quatre appels manqués. Cette journée est plus que perturbante. Elle est carrément étrange. Je me détends et lève les yeux sur Kwaïgon. Comme il me fixe, c'est qu'il doit avoir quelque chose à dire. Et je crois que je sais. Mais la question est surtout : est-ce que j'en ai envie ? Un noeud me serre l'estomac. Mais je l'ignore.
« Qu'est-ce que tu sais d'autre sur moi ? »
« Tu veux que je te fasse la liste ? Maintenant ? »
« Oui, maintenant. Parce que je sais pourquoi tu reste planté là devant moi et que je n'ai pas envie de répondre maintenant à ta question. Alors je te fais parler pour reculer l'échéance. Satisfait ? »
Il hausse les épaules, encore une fois, sans pour autant changer de son expression neutre. Si c'est un robot, je suis tout de même époustouflé par le soucis du détail qui a été mit en oeuvre pour le réaliser... On dirait franchement un vrai...
« Très bien. Né Nate Miller le ving cinq mai mille neuf cent quatre vingt neuf à Dumont, au Texas, dans un communauté militaire milicienne vivant en autarcie, avec ses propres règles et son propre gouvernement. Nate est mort à neuf ans, présumé. Son corps n'a jamais été retrouvé. Suicide. Devenu Alejandro Cowie à la suite de ça. A été dans un pensionnat militaire avant de plus ou moins disparaître de la circulation et parfaire sa formation auprès de Pierce Finnegan. Est devenu tueur à gage, quelques contrats gouvernementaux pour acheter une immunité diplomatique. Désormais tueur retraité et coach dans un élevage de chevaux de sport... C'est assez bien résumé pour toi ? Ou tu veux que j'entre dans les détails ? »
« Je connais ma vie, je n'ai pas besoin de détail... T'es pas humain tu sais ! On est pas sensé connaître autant de chose sur les autres. »
« C'est mon job. »
« Ton job Kwaïgon c'est de poser ton cul dans les selles de tes chevaux et aller gagner des concours. Pas en savoir plus sur les autres qu'eux même ! »
Encore une fois il hausse les épaules. Il a toujours été comme ça en réalité. Il a toujours su tout sur tout le monde. Il a dû naître comme ça, c'est impossible autrement. Je donnerais n'importe quoi pour connaître sa vie dans les moindre détails... Je calme mon exaspération et plonge mon regard dans le sien. Il est impénétrable, ce regard sombre... Pourtant, il est empli de quelque chose que je ne lui avais pas vu jusque là, jamais. C'est de la reconnaissance. Ce constat me laisse sans voix et fait s'envoler d'un coup toute la colère qui bouillonnait en moi.
« Tu n'as jamais fait son deuil. »
« Je n'en ai jamais eu l'occasion. »
« Alors allons-y. »
« Maintenant ? »
Il jette un oeil à sa montre avec la nonchalance qui lui est caractéristique.
« T'as cinq minutes pour faire ton sac, je t'attends au parking. On sera de retour demain soir. »
Qu'ajouter de plus ? Je soupire et me jette sur mon armoire alors qu'il sort tranquillement de ma chambre, les mains dans les poches. Il n'est définitivement pas humain... Comment aurait-il su sinon ? Il ne pouvait pas prévoir ma réaction quand même... Moi même je ne le pouvais pas... Il nous connait donc tous si bien que ça ? Un frisson me parcourt et je le réprime : bien sûr qu'il nous connait tous aussi bien que ça...
Quand je rejoins Kwaïgon, sans un mot, et grimpe dans son Aston Martin grise, je sais qu'il a mit en place en une poignée de minute des moyens considérables pour ce moment. Pour à peine vingt quatre heures. Et je suis touché par tant de considération de sa part. Il n'y était pas obligé... Mais pourtant il le fait. Comme il fait toujours tout ce qui est en son pouvoir pour faire disparaître les monstres de nos placards... Je ne sais pas pourquoi il agit comme ça. Pour le bien des gens ? Pour le bien de l'équipe ? Parce que Liam le lui a demandé ? Je ne comprends pas toujours ses motivations mais je lui suis reconnaissant de ses actions. En moins de temps qu'il n'en faut habituellement -grâce au moteur de l'Aston- nous sommes sur le tarmac de l'aéroport international de Dunedin où nous attends un jet privé. Le coréen gare la voiture dans un hangar proche et prend son sac dans le coffre, me jetant le mien dès que je suis prêt de lui. Il me fait signe de le suivre et grimpe dans l'avion en saluant le pilote et son co-pilote avant de s'installer dans un siège, son sac vaguement posé -jeté- sur celui de derrière. Je l'imite, en prenant place en face de lui. En quelques minutes nous décollons.
« Te poses pas de questions et dors. On en aura pas l'occasion une fois sur place. »
J'acquiesce et le regarde suivre son propre conseil, en allongeant son siège et en fermant les yeux. Je souris en l'imitant, une fois de plus. Cette capacité à pouvoir dormir n'importe où est aussi rapidement n'est pas commune... Mais elle est en tout cas assez répandu chez un certain type de gens... Les gens comme nous...
J'ai encore l'esprit embrumé quand je grimpe dans la voiture qu'à loué le coréen. Un super car à l'américaine, bruyante mais qui ne suscitera pas d'interrogation dans cette contrée hostile que m'est le Texas. Kwaïgon prend le volant encore une fois et se lance à l'assaut de l'asphalte avec une aisance qui me sidère toujours. Comme s'il était né dans une voiture... Décidément, je n'arrive pas à savoir où il a acquis autant de connaissance. Mais je sais que si je lui pose la question, je n'aurais pas la réponse que je voudrais. Bien que... Kwaïgon est toujours honnête. Il ne cache pas vraiment la vérité, il attend qu'on lui pose les bonnes questions pour la délivrer... Et comme il n'est pas très bavard... Je soupire en tournant la tête vers la vitre, lui reste concentré sur la route. Nous avons volé une bonne partie de la nuit et ici, il fait encore sombre. Mais le temps que nous atteignons Drumont, le soleil s'est levé...
Le coréen se gare dans un crissement devant un village qui semble abandonné et je lutte intérieurement pour faire refluer mes souvenirs. Je regarde le portail défoncé et les barbelé à moitié écroulé du sommet des barrières. Le vent soulève un tourbillon de poussière et fait claquer un porte moustiquaire. Le lieu est bel et bien abandonné. Le coréen s'y engage avec prudence et accélère finalement un peu pour traversé toute la zone et se diriger vers un point à l'extérieur : le cimetière. Il se gare à l'entrée et coupe le contact avant de se tourner vers moi.
« Tu veux y aller seul ? »
« Pas spécialement... Tu peux venir si tu veux. »
Il m'offre un bref hochement de tête et sort de la voiture, prenant au passage un sac à dos. Cette fois, il me laisse passer devant. Je ne suis jamais venu ici mais je n'ai pas besoin de lire les noms sur les pierres tombales pour reconnaître celle que je cherche. Elle est à l'écart des autres, seule. Celle de ma mère. Elle est plus simple que les autres. L'herbe folle a poussé dessus de façon archaïque et machinalement, j'arrache des touffes d'herbe pour les jeter sur le côté. Mais je laisse les fleurs. Aussi parce que je n'en ai pas apporté. Kwaïgon reste légèrement en retrait, les mains dans les poches, il attend. Je me relève enfin et glisse à mon tour les mains dans mes poches, restant là, à fixer la pierre tombale de ma mère, et je ne peux empêcher les larmes de couler le long de mes joues. Le vent chaud les sèche, en me laissant une désagréable sensation sur la peau. Mais je reste silencieux... « Pleures en silence ! » C'est ce que me disais mon père... Je n'y ai jamais dérogé.
J'aimais beaucoup ma mère. Dans la communauté où l'on vivait, elle était la seule qui essayait de me faire avoir une enfance normale. Elle aussi était née ici mais elle ne s'y sentait pas chez elle et ne souhaitait qu'une chose : s'enfuir. Mais la menace l'en avait empêcher. La peur. Elle avait été marié de force à mon père et m'avait eu. Quelques années plus tard, quand j'avais cinq ans, elle avait également eu une petite fille, mais qui était morte quelques mois après sa naissance. Mort subite du nourrisson. Elle avait toujours fait preuve d'une grande tendresse avec moi... Mon père était un homme dur, qui pensait, comme le reste des hommes constituant le conseil dirigeant -et des autres en général- que plus un enfant est familiarisé tôt à la discipline et aux armes et plus il devient efficace rapidement. Le but de la communauté m'étais obscur à l'époque et il l'est toujours aujourd'hui. J'ai commencé à apprendre à tirer avec un fusil de paint ball à quatre ans. A six ans je maîtrisais n'importe qu'elle arme à feu pas trop lourde pour moi. Je n'ai pas eu d'enfance à proprement parlé. L'éducation ici se faisait à coups de ceinture en cuir et d'heure passée devant un cible. Nous apprenions à lire, à compter, à écrire, à manipuler les gens, et à n'avoir peur de rien. Ma mère était contre ce système et voulait à tout prix nous en sortir. Ce qu'elle a fini par faire, d'une certaine façon...
Je détestais mon père. Chaque soir, que j'ai commis ou non une mauvaise action, j'avais droit à dix coups de ceinture. J'en frissonne encore à cette pensée. Chaque soir avant d'aller me coucher, j'étais confronté à mes peurs, pour que je puisse y faire face et apprenne à ne plus en avoir aucune. Quand je n'ai plus eu peur d'être enfermé dans un cercueil, j'ai compris que c'était le moment de partir. Ma mère a été accusé de trahison envers la communauté parce qu'elle a essayé d'y partir, en m'emmenant avec elle. Comme j'étais encore jeune, je n'ai pas été tenu responsable de mes actes. Mais elle si. La peine pour trahison dans la communauté était la mort. Et pour me faire comprendre l'importance de cette trahison, j'ai été désigné comme l'exécutant de cette condamnation. J'avais huit ans. Le jour de son exécution avait été décidé pour le jour de mon anniversaire. Encore une forme de punition... Mon anniversaire étant le seul jour heureux de mon année. Il fallait que mon père le transforme lui aussi en un cauchemar. Appuyer sur cette détente à été la chose la plus difficile que j'ai eu à faire de toute ma vie. Et aujourd'hui encore, je n'ai pas connu de moments plus difficile à surmonter que celui-là. Suite à ce jour, j'ai mit une année entière à monter un plan d'évasion. Au début, je voulais vraiment partir. Mais plus les jours passaient et plus la douleur de la perte se faisait grande. Ma vie devenait une succession de jours atroces. Un enfer. Je ne sais pas si mon père me faisait payer la trahison de ma mère mais ses coups redoublaient chaque soir. Il se faisait de plus en plus cruel. La rage m'a conduit à bout. Il ne m'a pas fallu bien longtemps -quelques mois- pour basculer dans une sorte de folie. Je voulais qu'il meure. Je voulais que ma torture cesse. Alors un soir, j'ai pressé la détente. Au milieu de l'église, pour que tout le monde sache. Que personne n'ai aucun doute. J'ai vidé mon chargeur sur lui, jusqu'à ce que son crâne ne soit qu'un tas informe de chair. Méconnaissable. Je voulais lui enlever son identité. Et j'ai couru. Ivre de chagrin et de rage. Désespéré au point de me jeter du haut d'une falaise... C'était le jour de mes neuf ans.
J'ai eu beaucoup de difficulté à comprendre ensuite ce qu'étais une enfance normale. A comprendre l'utilité des jouets. Je n'ai jamais suivi un cursus scolaire normal. Pierce n'a pas voulu m'imposer un changement trop rude. Il m'a donc mit quelques années dans un pensionnat pour garçon. Une école militaire. Les instructeurs étaient durs, certes, mais ils ne levaient jamais la main sur nous. J'avais connu bien pire. Ce pensionnat me paraissait être un paradis sur terre... Pierce m'a ensuite laisser le choix entre une vie à tuer d'autres pour de l'argent et une vie normale. Je ne savais pas ce qu'étais une vie « normale ». J'avais été élevé pour tuer. Il m'a apprit alors à me faire discret. Il m'a donné des contacts, il m'a apprit à trouver des informations ou à en soutirer. Ce n'était pas non plus très sain comme formation, maintenant que je vois Maël, mais il a toujours été respectueux et gentil avec moi. Après les horreurs que j'avais vécu durant neuf années de suite, je ne pouvais que lui être reconnaissant. Il m'avais sorti de cet enfer -bien que sans le vouloir- et m'avais apprit à survivre dans « le monde extérieur ». Que serais-je devenu sans lui ? Mort à l'âge de neuf ans...
Mes larmes ont fini de couler et ont séchées. Le soleil est bien au dessus de nous désormais et mes jambes sont ankylosées d'être restée immobiles aussi longtemps. Kwaïgon s'est assit contre un muret, à l'ombre d'un arbre rachitique. Il a les yeux fermé, et doit sans doute dormir... Ou somnoler. Je prends un inspiration et m'adresse une dernière fois à ma mère dans un murmure.
« Je l'ai fait maman... J'ai fait ce qu'on avait dit. Je t'aime... »
J'expire lentement et me tourne vers Kwaïgon. Il ouvre instantanément les yeux.
« Merci... Je crois qu'on peut y aller. »
Il acquiesce et se lève pour prendre le chemin de la sortie. En silence, nous reprenons le chemin de l'aéroport et je somnole. Ce retour dans mon passé m'a vidé de toute énergie. C'est fini. Un pan de ma vie vient de se tourner, j'ai enfin fait le deuil de mon enfance... Je me laisse porter par le roulis de la voiture et la conduite fluide du coréen. Je ne vois pas le temps passé et je m'étonne que nous soyons déjà de retour dans l'avion au bout de quelques heures. Quand je reprends ma place en face de Kwaïgon, j'ai retrouvé un peu mes esprits et ma stabilité d'humeur. Il me tend une bouteille d'eau et des sandwichs que j'accepte avec un sourire.
Nous décollons enfin et cette fois, il ne dort pas. Son regard est perdu dans l'immensité du ciel, à travers le hublot. Une question me taraude et je décide que c'est le bon moment pour la poser.
« Dis moi Kwaï... Il y a une chose que je ne comprends pas... Si tu sais tellement de choses sur moi, comment se fait-il que tu n'arrives pas à retrouver Moïra ? »
Lorsqu'il tourne les yeux vers moi, il parait un peu offusqué, mais ça ne dure qu'une seconde.
« Je n'ai pas dit que je n'avais pas réussi. »
« N'as tu pas confier à Liam et Myriam que tu n'arrivais pas à la retrouver ? »
« En passant par mon réseau, en effet, je n'arrivais pas à la retrouver. Mais je sais où elle est. »
« Pourquoi ne pas le dire à Izikel dans ce cas ? »
Il soupire et détourne un instant le regard, cherchant ses mots. Il ne va pas répondre, ou esquiver. Je le sens à sa façon de regarder partout sauf sur moi. Il cherche la meilleure parade possible pour éviter de répondre.
« Kwaïgon, ne le laisse pas avoir de faux espoirs ! C'est cruel ! Même de ta part ! Si tu sais où elle est tu dois le lui dire. Regarde l'état dans lequel il se met ! Il est inconscient du danger qu'il prend en se laissant aller de la sorte et en fonçant tête baissée sur tout ce qui passe ! Tu as vu aux FHE ? Le nombre de passages qu'il prend ? Dans son état physique ? On va le retrouver en miette. Il va faire des fractures de fatigue et il finira par se tuer. Je sais ce que ça fait un corps qui arrive à l'épuisement. On en meurt Kwaïgon ! C'est possible de mourir d'épuisement ! Il faut... »
Il me coupe finalement en levant une main. Jusque là, il me fixait, les doigts joints devant lui, dans l'attente. Je me suis emporté, je le sais. Mais j'apprécie Izikel et le voir ainsi me fend le coeur.
« Moïra ne souhaite pas que je communique cette information à Izikel. »
Je reste un instant sans voix, incrédule. Je connais Moïra. Pas mieux que Kwaïgon et Izikel, certes, mais je la connais depuis une dizaine d'année maintenant et jamais je ne l'avais vu aussi attachée sentimentalement à quelqu'un. Elle est enflammée, impulsive, passionnée. Elle doit vivre cette séparation aussi mal qu'Izikel et contrairement à moi ou lui, ou Kwaïgon, elle a une tolérance à la douleur mentale très limité. Qu'elle refuse de communiquer avec Izikel, je n'y crois pas.
« Dans ce cas là, il n'y a que deux solutions : soit elle est morte ou mourante et salement amochée, d'où son refus de voir Izikel, soit elle a été kidnappée, mais dans ce cas là, y'a pas que lui que t'auras sur le dos. Si c'est le cas on doit aller la chercher. Il n'y a... »
Une fois encore il m'interrompt d'une main levée et d'un soupir las. Je sais que je le pousse à bout avec mes théories un peu fumeuses mais je veux la vérité et cela me mets hors de moi de savoir qu'il nous cache quelque chose d'aussi important. L'équipe entière se fait du soucis pour Izikel, a peur de le voir craquer d'un moment à l'autre, sous la pression, le chagrin ou n'importe quoi d'autre. Si quelqu'un a le pouvoir se soulager sa conscience ne serait-ce que quelques jours, il doit le faire et sur ce coup là, je ne comprends pas la réaction de Kwaïgon. C'est pourtant un homme de confiance... Et de parole...
« Elle va bien. Elle a simplement peur et veut protéger Izikel. C'est si difficile que cela à comprendre ? »
Je ricane jaune. Ce n'est pas une raison valable et il le sait. Il n'est pas du genre à ménager les gens. La preuve en est aujourd'hui, il m'a conduit devant la tombe de ma mère alors que j'ai évité de le faire ces quinze dernières années.
« C'est fumeux comme raison. Elle a prit Izikel avec elle dans un raid suicidaire et elle aurait maintenant peur qu'il lui arrive quelque chose ? Laisse moi rire... Ce n'est pas son genre de protéger les gens, je te rappelle que son métier c'est de les tuer et ce n'est pas ton genre de nous ménager non plus. Alors vous avez intérêt à avoir une excellente raison tout les deux, parce que vous ne m'avez jamais vu en colère mais je peux très bien le devenir. »
Il soupire et pèse le pour et le contre. Je crois que je l'ai convaincu. Kwaïgon aime aussi avoir sa petite liberté et un certain confort. M'avoir sur le dos nuirait à l'un comme à l'autre.
« Izikel ne doit rien savoir. Si j'apprends qu'il sait quelque chose, je sais que c'est toi qui aura vendu la lèche. Et je te jure que je suis prêt à te tuer pour la protéger elle. Est-ce que c'est bien clair ? »
Son regard est dur et froid. Il ne ment pas. Instinctivement, le mien se durcit également. Il doit en effet avoir une excellente raison, sinon il ne menacerait pas. Il en arrive très rarement jusque là et chez lui, une parole vaut plus qu'un contrat. S'il dit qu'il me tuera, c'est qu'il le fera et il n'aura pas une once d'hésitation. D'un côté, il est bien plus dangereux que moi... Ou que quiconque dans l'équipe. Je soutiens son regard, parce que c'est ce qu'il attend et c'est ma façon de lui montré que j'ai comprit. Ce n'est en aucun cas par rébellion ou bravade inconsciente.
« C'est parfaitement clair. »
« Moïra est enceinte. Il n'est pas encore prêt pour ça et elle doit se cacher quelques temps. Elle a changé d'identité car elle est recherché. Le Haras est un endroit trop exposé pour elle et elle ne veut pas offrir à Izikel une vie de fuite et de hors la loi pour l'instant. Elle sait qu'un mot d'elle suffirait à le faire quitter le Haras, mais ce n'est pas ce qu'elle veut pour lui. Elle veut qu'il se reconstruise. Je respecte ce choix et tu ferais bien d'en faire autant et d'aider Izikel du mieux que tu le peux. »
Son ton est froid, sans appel. De toute façon, je suis sous le choc et je serais bien incapable de lui répondre quoi que se soit. Je comprends mieux ses choix mais quelque chose me mets tout de même mal à l'aise dans cette histoire. Je crois que c'est le fait de caché le tout au garçon. Après tout, qui peut juger à part lui de son état mental ? Il est peut-être prêt mais c'est nous qui nous obstinons à le protéger. Mais il n'en a pas besoin. Il est assez fort pour ça... En tout cas, c'est ce que je crois... Quand je reprends la parole c'est d'une voix blanche, calme, après plusieurs longues minutes de réflexion, le temps d'intégrer l'information.
« Elle va le garder ? Le bébé ? »
« Oui. »
J'acquiesce pour moi-même et ma gorge se serre. C'est cruel. Je n'aurais jamais dû poser la question. Je soupire avant de me centré sur moi même. Je dois enfouir tout ça et redevenir Alejandro Cowie avant que l'on atterrisse. Redevenir le pilier sur lequel on peut compter. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour aider Izikel. Sans trahir ma parole et sans trahir Moïra, malgré mon incompréhension face à cette situation.
« Je sais... Moi aussi je ne comprends pas... »
Je me glace un instant et lui jette un regard au moment où il détourne lentement le sien. Il faut vraiment qu'il sorte de ma tête... Mais je suis rassuré, d'un côté. Et je sais qu'en réalité, il fait tout ce qu'il peut pour sauver Izikel lui aussi... Et ce depuis bien plus longtemps que moi. Combien d'aussi lourd secret porte-t-il sur ses épaules ? A quel point est-il le garant de notre tranquillité ? A quel point nous protège-t-il des monstres qui rôdent autour de nous dans les ombres ? Jamais je ne saurais à quel point je crois. Et jamais je ne pourrais lui rendre la dette que nous contractons tous envers lui... Cet homme n'est pas humain. Il aurait craqué depuis longtemps sinon.
Quand l'Aston se gare dans sa place de parking souterrain, Liam est là. Il nous attend avec une mine un peu inquiète mais quand il me voit sortir de la voiture en souriant, il se détend. C'est la fin d'après-midi. Je suis de nouveau Alejandro Cowie, coach d'élevage.
« Pas trop long ce vol ? »
« Très agréable ? Et les élevages ? L'équipe ? »
« Très bien ! On a décidé d'aller boire un verre en ville tous ensemble, vous venez ? »
« Izikel vient aussi ? »
« Louna reste avec Enzo. »
« Alors allons-y ! Kwaï ? »
« Je me change et on peut y aller. »
« Vingt minutes dans le hall ? »
« Ça marche ! »
Nous échangeons des sourires et prenons le chemin du Manoir. De retour chez moi...
Halloween
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