Chapitre 08
Episode 01
Prologue ;
Au petit matin, le Haras était toujours calme. Il y avait une heure, entre le lever de soleil et les premières rations donné par les palefreniers où il ne se passait rien. Les habitants du domaine dormaient et les chevaux somnolaient encore. C'était une heure où personne ne traînait dans les salles communes. Les fêtards venaient à peine de se mettre au lit, alors que les autres ne se lèveraient que dans quelques heures. Il n'y avait presque pas âme qui vive... Presque. Izikel était assit dans un fauteuil du salon, face à la baie vitrée, embrassant du regard le paysage qu'était le Haras. Les bras sur les accoudoirs, il ne bougeait pas, attendant que le temps passe et que le Haras se réveille, incapable de rester allongé dans son lit, ses côtes étant trop douloureuse. D'autant plus que les effets du décalage horaire étaient encore bien présent et rendait ses journées assez pénibles à vivre. La fatigue était son quotidien, du matin au soir, tout comme la douleur physique, qu'il s'entêtait à ignorer du mieux qu'il pouvait. Il se noyait dans le travail pour y faire abstraction, sachant pertinemment que c'était la mauvaise solution : à trop forcer, il allait finir par aggraver son cas.
Il sentit plus qu'il n'entendit la jeune femme dans son dos. Il ferma un instant les yeux, soupirant, faisant le vide en lui. Il sentit les bras de la jeune femme autour de ses épaules, sa chaleur l'apaisant doucement. Il ne bougea pas, se laissant faire avec un soupir mi-soulagé mi-triste, profitant simplement de l'instant. La petite brune dépose un léger baiser sur sa joue, et reste encore un peu contre lui avant de faire le tour du fauteuil. Il ouvre les yeux à ce moment là, lui adressant un regard reconnaissant.
« Tu veux un café ? »
Il croise son regard et pince les lèvres en hochant doucement de la tête.
« Oui, avec plaisir si tu m'accompagne. »
La demoiselle sourit et pose un baiser léger sur sa joue avant de s'éclipser. Il n'a pas encore la force de la suivre et elle le comprend, sans un mot. Le jeune homme plonge de nouveau dans le vague, perdu dans la contemplation du paysage. Quelques minutes seulement s'écoulent avant que la brunette ne reparaisse, deux tasses fumantes dans les mains.
« Tu sais qu'il faut faire du sport pour bien dormir ? »
Le jeune homme sourit en se décollant de son dossier pour prendre sa tasse, la remerciant à demi-mot. Elle fait des efforts pour le voir sourire et il lui en est reconnaissant. Plus que cela même... A part Ezra, Inna est la personne la plus proche de lui au Haras et dans des moments comme celui qu'il vit, elle seule peut lui arracher de vrais sourires. L'inquiétude cependant se lit sur ses traits et l'éthologue s'en veut de lui causer tant de tracas intérieurs. Il se laisse doucement de nouveau basculer sur le dossier et souffle en douceur sur sa tasse, profitant du silence léger qui s'est installé pour un moment. Inna s'installe à côté de lui, se faisant une place qu'il lui laisse volontiers dans le large fauteuil en cuir qu'il s'est approprié.
« Plus sérieusement Walig, qu'est-ce que je peux faire pour t'aider à dormir ? »
Cette fois c'est un soupir de désespoir qui s'échappe des lèvres du jeune homme. Il est trop expressif, il le sait. Mais il ne pourra jamais rien cacher à une Inna aussi proche et attentive de lui. Il laisse passer quelques secondes, le temps de choisir ses mots, avant de répondre dans un murmure.
« Tu peux faire apparaître Moïra ? Comme les magiciennes ? »
Il croise son regard, feignant l'espoir et l'amusement mais sans réel grand succès. Inna compati et une vague de chagrin l'envahi. Elle posa amicalement une main sur le genoux de l'éthologue avec un sourire triste. Walig avait le chic de se mettre dans des situations amoureuses délicate. Inna savait combien son coeur était brisé et espérait qu'un jour il puisse retrouver la paix.
« Walig, je suis tellement désolé. Il faut que tu te changes les idées »
« Je sais... Mais c'est pas évident... Pour la première fois depuis longtemps je suis tombé amoureux... Et il a fallu que ça tombe sur elle. Pourquoi j'ai jamais de chance Inna ? »
Le jeune homme soupire en posant la tête sur l'épaule de la demoiselle, se tortillant un peu pour se mettre à sa hauteur, ignorant la douleur qui lui mordait les muscles. Inna avait enlacé Walig et lui caressait les cheveux d'une main.
« Tu es un ange tombé du ciel Walig et comme tous tu n'as pas de chance en amour. La vie ne t'a pas épargné mais tu es toujours là et tu sais qu'on sera toujours là avec Ezra. »
La jeune femme savait qu'elle ne pouvait pas combler ce sentiment de solitude mais elle l'avait serré doucement en lui embrassant le front. Elle souffrait terriblement de voir ainsi, après Louna, voila qu'il perdait Moïra. Combien de fois allait-il avoir le coeur brisé ? Le jeune homme soupire encore aux paroles de la jeune femme et se laisse faire, acceptant ce calme nouveau, en profitant pour recharger ses batteries pour la journée dans cette étreinte. A chaque fois qu'il tombait amoureux d'une femme, c'était dans la violence d'une situation extrême. Sa vie était-elle si décousue et affreuse pour qu'il ne ressente que de si violente émotions dans des situations affreuses ? Il n'en savait rien. Et il ne voulait pas y croire.
« Merci Inna. Toi aussi tu es un petit ange ! Le mien en tout cas ! »
Il sourit et serre brièvement la jeune femme un peu plus fort, à défaut de pouvoir déposer un baiser amical sur son front, comme il aime tant le faire. Mais cette fois, ses côtes fêlées ne lui laisse guère le choix. Inna l'avait remercié en se collant à lui puis elle avait reprit d'un ton plus léger.
« Heureusement qu'on a nos chevaux, eux ont toujours besoin de nous. D'ailleurs tu ne risque pas de t'ennuyer avec ta nouvelle recrue, Rise c'est ça ? Il s'habitue bien ? »
« Oui ça va, il a l'air. Il passe ses journées au paddock et je le rentre une nuit sur deux. Il ne connaît pas le box, je ne veux pas l'en agresser... Mais c'est un jeune assez flegmatique... Il suit sans faire d'histoires... Par contre j'aimerais commencer le vrai boulot avec Arès... Tu sais si ça a été pendant mon absence ? Il n'a pas trop fait de misères à Tom ? »
Son ton sur la fin est un mélange de crainte et d'espoir. Même s'il arrivait à faire marcher le pie en longe à côté de lui sur des courts trajets avant de partir, Arès était loin d'être un animal simple et facile à gérer au quotidien...
« Rise ressemble à un gros nounours, il a le caractère qui va avec du coup... Tom ne parle pas trop des réfugiés, y parait qu'il donne de la voix le matin. »
Inna était soulagée de voir que Walig s'impliquait dans la conversation. C'était leur façon de se changer les idées. Après avoir bu une gorgée de café, elle reprit.
« Tom sera ravi de te voir revenir. »
« Tant mieux. Il faut que je le trouve pour qu'on en discute d'ailleurs... »
Le jeune homme sourit sans pour autant que la demoiselle ne puisse le voir et finalement, se redresse en grimaçant pour boire une gorgée de son café désormais tiède.
« Tu es sur que ça va ? Tu ne devrais pas te remettre à cheval aussi tôt... »
« Ça va aller. Ne t'inquiète pas, j'ai connu pire ! Et pour l'instant, j'ai trop de travail à pied à faire... Mais Liam a insisté pour me faire participer aux FHE... Alors je n'aurais pas trop le choix... Et toi, ça se passe bien avec Kaiser ? »
« Ne va pas de casser quelque chose ! Tu devrais te ménager... Kaiser est égal à lui même, lunatique et brutal mais on avance doucement. »
Inna était inquiète de l'état physique et mental de son ami. Malheureusement elle ne pouvait pas l'attacher au lit pour le soigner. Ils s'étaient promis avec Ezra de veiller sur lui, de le surveiller discrètement - ou pas - Walig avait changé de sujet et Inna ne pouvait pas revenir dessus, espérant sincèrement qu'il ne leur cachait rien de grave.
« J'aurais bien besoin des conseils d'un pro. »
Elle lui adresse un clin d’œil alors qu'il croise son regard en haussant un sourcil.
« Ah ? Il te fait des misères ? On peut faire des séances ensemble si tu veux ! Est-ce qu'on a même déjà bosser ensemble ? Je n'en ai pas le souvenir... »
Il fronce légèrement les sourcils, fouillant sa mémoire. Ils avaient sans doute travailler en selle mais à pied ?
« Non on n'a pas eut trop d'occasion faut dire. Mais je me lasserais jamais de bosser avec toi, faut aussi qu'on se fasse une sortie. Ezra attend ça avec impatience. »
Une lueur d'admiration s'était allumé dans ses yeux. Elle voulait toujours travailler en compagnie d'Ezra et Walig mais ce dernier n'était que rarement là depuis quelques années. Elle espérait qu'aujourd'hui, il ne partirait plus en sauvetage périlleux et resterait avec eux, avec elle - jalouse, non pas plus que son cheval. Les yeux du jeune homme se mirent à pétiller un peu et il adressa à la jeune femme un doux sourire.
« Tu as déjà été voir un match de rugby ? Trente mecs musclés en maillot moulant qui courent et se tapent dessus pendant quatre-vingt minutes, avec de la bière à volonté pour accompagné le tout. Un vrai régal ! En plus on est dans le bon pays. C'est presque une religion ici ce sport ! »
Cette fois c'est un sourire malicieux qui habite son visage. Il ne cache pas ses tendances et en profite même parfois...Un sourire radieux s'était dessiné sur le visage d'Inna. Cette proposition était plus l'alléchante et elle ne pouvait pas refuser, d'autant plus qu'Izikel avait l'air plutôt enthousiaste, ce qui était rare.
« Oh viiiiii !!! Comment refuser ?! Surtout vu l'équipe nationale ! Y faut en parler à Ezra ! On pourra faire les commères ! »
« Oh oui ! Il ne nous laissera pas y aller tout les deux en amoureux de toute façon ! Lui aussi est fan de rugby ! On est pas irlandais pour rien en même temps... On pourra convier Dean peut-être aussi... Et Ale et Kwaï ? D'ailleurs tu as rencontré Dean ? Tu en pense quoi ? »
Il eu un bref froncement de sourcil et but une gorgée de son café. Il savait que le jeune maréchal avait eu du mal à s'intégrer et que l'équipe s'en méfiait mais il n'avait pas vraiment comprit pourquoi...
« On va réunir la fine équipe ! En bon supporter je vous maquillerais !! Dean est sympa. C'est souvent le premier au petit déjeuner. Kwai s'en méfie mais tu le connais. Moi je le trouve plutôt cool et plutôt agréable à regarder tu trouve pas ? »
« Cool ! Je vais nous organiser ça alors. Peut-être qu'on devra prendre un avion pour aller voir un match mais tant pis. J'arriverais à convaincre Liam de nous laisser un weekend à tous. Après tout, Louna est revenue elle peut bien reprendre ses responsabilités... »
Il avait été amer sur sa dernière remarque, le regard un peu vague et perdu dans ses pensées. Mais il avait reprit trop vite pour laisser le temps à Inna de rebondir sur ce sujet.
« Et c'est vrai que Dean est pas mal ! Je le trouve sympa aussi, je ne comprends pas pourquoi les autres s'en méfiaient... »
« Tu les connais puis Dean est pas prise de tête, c'est surement ce côté là qui les inquiètes. »
Il soupire, haussant doucement des épaules. Mais son regard s'était radoucit.
« Tu veux pas qu'on sèche un peu et qu'on reste là ? On est bien dans ce fauteuil en fait... »
Il se recale sur l'épaule de la jeune femme avec un soupir. Il sait très bien que l'heure du déjeuner approche et son ton était enfantin mais on ne savait jamais... Sur un malentendu...
« Je pourrais rester là un siècle entier. »
Inna n'avait pas soulevé le souci de Louna. Elle savait que malgré les apparences cette histoire n'était pas totalement enterré et devait encore travailler Walig. Ce n'était pas le moment de faire remonter des vieux souvenirs. Elle avait préféré délaissé son café froid et se blottir contre son ami, observant l'aurore colorer le ciel.
« Si Liam ne vous laisse pas de week-end, je te jure que je le pends par les pieds jusqu'à ce qu'il accepte ! »
Le jeune homme rit de bon coeur, grimaçant de suite à cause de la douleur que cela provoque. Il se calme doucement et un doux silence s'installe entre eux. Mais seulement pour quelques minutes, une masse de muscle fondant rapidement sur eux, les enveloppant de ses bras.
« Câlin collectif !! »
« viiiiii ! »
Inna l'avait enlacé de son bras libre en lui embrassant la joue à portée. Ezra colla un baiser léger sur le front d'Inna avant de faire de même sur la jour d'Izikel avant de se redresser. Les mains sur les hanches, il leur lança un regard faussement colérique.
« J'ai failli lancé les affreux à vos trousses ! Faut pas disparaître comme mes chéris. Je m'inquiète déjà bien assez pour vous ! »
Izikel se redressa et sourit doucement suivit d'Inna.
« A force de vous chaperonnez on a appris à se faire discret »
Le métis sourit à cette remarque et tend la main à la jeune femme pour l'aider à se relever et l'entraîner dans ses bras pour l'embrasser rapidement. Il se libère un bras pour aider Izikel à son tour sans pour autant lâcher la jeune femme.
« Aller ! Petit déj' ! »
« T'as l'air mort de faim ! »
« Je le suis ! Mais pas de nourriture... »
« La prochaine fois je viens te rejoindre promis ! »
Izikel sourit. Cette dernière remarque n'est adresser qu'à Inna et accompagnée d'un sourire en coin du grand métis. Inna sourit en rougissant. Le trio infernal se dirige vers la salle à manger pour le petit déjeuner. Ale est déjà là, en grande conversation avec Dean et Liam, en bout de table. Kwaïgon arrive en même temps qu'eux, son attelle de nez toujours en place et les deux yeux cernés, à cause de la fracture. Chacun prend sa place à table à la suite des autres, Izikel et Kwaï avec un peu plus de précautions que les autres. Rapidement, les cafés sont servi et les toasts beurrés et distribués. Inna s'applique à en donner à Izikel pour s'assurer qu'il les mange. L'irlandais les prend un à un avec flegme et les mange lentement, laissant le temps s'écouler tranquillement, écoutant les conversations plus qu'il n'y participe. Il refuse d'un sourire désolé le quatrième toast que lui tend la jeune femme et se retrouve avec un toast sous le nez et un regard de chien battu. Izikel est incapable de résister plus de quelques secondes et après un regard au plafond prend le toast et le grignote.
« Mais c'est le dernier hein... »
Ezra, concentré sur ce que lui dit Liam garde tout de même une oreille sur eux et tend la main à Inna sans les regarder pour qu'elle frappe dedans en signe de victoire. Ce qui ne fait que soupirer encore plus l'éthologue.
« Tu vas directement chez Tom après Inna ? »
« Je t'accompagne pour sortir mon monstre »
Ezra tourne brièvement la tête pour s'immiscer avant de repartir répondre à Liam.
« Je viens avec vous. »
Izikel acquiesce et se plonge dans son café un moment.
« Tu crois que Tom sera là ? »
« Je pense oui. »
« Tant mieux... »
Il reste un instant pensif. Lou-Khyan et Siobhan arrivent, le vétérinaire visiblement inquiet, ne prenant qu'un mug de café et sortant en vitesse. La rouquine pour sa part prend le temps de collé un bisou sur le joue de tout le monde, sans aucune distinction, avant de s'asseoir à la suite des autres. Neyla les suit de près, visiblement fatiguée. Logan, également, suivit de son Légolas. Ne reste plus que Myriam et Maël, mais eux se lève généralement un peu plus tard. Aujourd'hui, la matinée est consacrée aux chevaux de quêtes mais Izikel n'est pas concerné. Il a prévenu Liam : de toute façon, il n'est pas encore en état de se remettre en selle. Il faudra attendre le début des FHE pour cela. Liam n'a pas fait d'histoire et lui laisse prendre le recul nécessaire. Il est indulgent pour ce genre de chose, connaissant la douleur aussi bien qu'eux voir plus : c'est lui qui a été victime de tortures physiques lors d'un kidnapping...
Le petit déjeuner terminé et la table débarrassée, chacun part de son côté : Dean, Ale, Logan, Neyla et Lou vers les box de missions, Liam vers le bureau pour finaliser des papiers, Kwaïgon à l'infirmerie et les trois autres vers le refuge de Tom. L'irlandais marche en silence, victime d'un coup de barre soudain, écoutant les deux autres se taquiner joyeusement. Perdu dans ses pensées, l'éthologue ne voit pas le petit Maël filer sur lui en courant. Depuis qu'il est revenu, il n'a pas vu le petit garçon du tout. Ezra n'a pas le temps de réagir et la collision est inévitable. Maël percute Izikel de plein fouet, entourant autant que possible ses petits bras autour du brun, qui devient livide instantanément. Le souffle coupé, il est incapable de répondre et fait son possible pour ne pas s'évanouir et rester camper sur ses pieds.
« TONTON WALIIIIIIIIGGGG !!! »
Ezra récupère Maël d'un geste, le soulevant dans les airs pour le faire tournoyé, souriant à l'enfant.
« Par là bonhomme ! »
Inna s'approche du jeune homme et l'entoure doucement de ses bras pour le soutenir. Izikel S'y accroche et se penche en avant, comme pris d'un haut le coeur. Il croise brièvement le regard interrogateur de la demoiselle et répond à demi-mot, le souffle saccadé.
« Non... Du tout... »
L'éthologue tente de se relever mais ne peut empêcher le grognement de douleur qui lui échappa. Instinctivement il se mordit la manche et ferma les yeux. Maël était tout penaud à côté d'eux, les yeux brillants de larmes.
« Pardon tonton... »
Izikel lui sourit aussi gentiment qu'il le put mais était incapable de répondre, le souffle toujours haletant. C'est Ezra qui prit très vite le relais.
« C'est rien bonhomme... Et qu'est ce que tu fais là tout seul toi ? »
« Je cherchais papa ! Il est pas à l'élevage... »
« Il est au bureau, je vais t'accompagner. Je reviens vite ! Pas de gestes brusques toi. »
Il pointe un doigt menaçant vers Izikel et entraîne rapidement le petit homme, laissant l'éthologue entre les mains de la demoiselle. Inna s'était penché en même temps que son ami, le fixant inquiète. Elle était incapable de le soutenir en cas de malaise et voir partir Ezra ne l'avait pas rassurée.
« Tu veux rentrer t'asseoir un peu ? »
Tom était sorti fumer une clope. Les réfugiés étaient tous sortis, nourris. C'était la pause avant le nettoyage des box. Quand il vit Inna et l’éthologue plié en deux, il s'approcha rapidement.
« Hey ça ne va pas ?! »
L'éleveur vient en soutien à Inna pour aider Izikel à se redresser. Toujours incapable de dire un mot, le jeune homme tend un doigt faible vers l'écurie, acquiesçant silencieusement à l'idée d'Inna. Encadrant Izikel, ils emmènent doucement celui-ci vers l'écurie, Tom lui laissant prendre place sur la chaise postée devant l'allée. L'éthologue reprend doucement son souffle et quand il sent que parler sera moins douloureux, il prend la parole d'une voix un peu rauque.
« Merci... »
« Tu veux un peu d'eau ? Tu veux que j'appelle Ale ? »
Le jeune homme secoue la tête avant de se raviser et lève les yeux vers Inna.
« Je veux bien un peu d'eau... Merci... »
« Je m'en occupe. »
L'éleveur s'éclipse. Izikel reprend peu à peu des couleurs sous le regard inquiet de la jeune femme. Ezra les rejoint à grand pas, le regard furieux. Tom revient également avec un grand verre d'eau qu'il tend à l'éthologue. Le métis s'arrête devant le groupe, les mains sur les hanches. Il laisse Izikel terminer son verre et lance d'une colère à peine contenue :
« Le détail des blessures. Maintenant. »
Izikel ne cherche pas à le défier du regard. Il ne gagnera pas cette fois, pas avec Ezra et Inna contre lui, en comptant Tom comme neutre bien sûr.
« C'est juste une ou deux côtes fêlées et beaucoup de courbatures. Quelques plaies, mais pas de balles... Je te promets que ce n'est rien de grave, j'ai été surpris par Maël. Si je l'avais vu, il ne m'aurais pas percuter avec autant de violence... »
Le regard du métis se radoucit mais il reste un peu en colère.
« Ouai... On verra ça à midi. Je me ferais ma propre opinion sur la gravité de ton cas. Tu as de la chance que je ne puisse pas te traîner par la peau du cul au centre de soins maintenant. Merci Tom en tout cas... Inna, on se voit vite ma puce. Et toi ! Toi fais gaffe ou je te tue moi-même. »
Le regard envers Tom est reconnaissant, celui envers Inna est doux, pour Izikel, il est menaçant. Le métis dépose un baiser léger sur la joue de la jeune femme et file à petites foulées vers l'écurie des missions. Il doit sans doute être en retard. Le métis parti, l'éthologue soupire et lance un faible sourire à ses compagnons. Il se relève doucement, bien que légèrement plié en deux et tend une main amicale à Tom.
« Ça tombe bien que tu sois là, je voulais qu'on parle un peu d'Arès... Tu as un peu de temps à m'accorder ? »
« Bien entendu, il est au paddock, suis moi. »
« Je vais voir Kaiser, on se voit plus tard Walig et pas de bêtises ! »
Inna était resté silencieuse jusqu'à présent, encore scotchée par la détermination d'Ezra. Au moins elle était à demi rassurée sur la gravité des blessures, sachant que le métis s'occuperait de l'éthologue. Après un baisé sur la joue des deux hommes, elle rejoint son prince bai. Tom avait invité Izikel à le suivre jusqu'au paddock après une poignée de main douce. L'éthologue lui emboîte doucement le pas, reprenant peu à peu une allure normale.
« Il a beaucoup d'énergie et parfois je le laisse dehors quand le temps est clément. Sinon il rentre le soir, il se laisse mettre le licol pour quelques contrôles mais la plupart du temps je le sors en liberté. »
« D'accord. Il a retrouver un peu de sérénité malgré tout ? A force de te côtoyer tous les jours... »
Le regard de l'éthologue acquiesce pour lui plus que sa voix, resté enrouée. Les deux hommes s'approchent du paddock où se trouve le baie et Izikel s'accoude à la barrière de bois en soupirant.
« Dés qu'il est dehors il est plus à l'aise, guettant à loisir les humains qui s'approchent. A l'écurie c'est toujours un peu l'angoisse mais les autres n'aident pas vraiment. Je pense qu'il pourrait rester dehors pendant la belle saison pour être au calme. Il faudrait lui trouver un compagnon de paddock, ça l'aiderait sûrement. »
« C'est déjà pas mal... Je vais essayer de voir avec Liam si il peut laisser un de ses poneys... Ou alors si je le mets avec mon dernier venu ? C'est un cheval très froid dans sa tête malgré sa jeunesse... Mais ça te ferait un nouveau pensionnaire... »
L'éthologue quitte le cheval des yeux pour faire une petite grimace à Tom. Il déteste embêter les gens et l'éleveur est déjà bien gentil avec lui... Il lui a laissé Arès durant toute son absence...
« C'est simplement une suggestion, n'y voit rien d'autoritaire. Pour la mise en pratique, ne t'inquiète pas, un de plus ne bousculera pas mon organisation. »
Tom avait posé une main amicale sur l'épaule de l'éthologue, accompagné d'un regard sincère et amical.
« Merci. »
L'éthologue sourit doucement à l'éleveur et re-concentre son attention sur le pie. Il broute tranquillement, sans leur accorder trop d'importance mais l'oreille braqué sur les deux hommes le trahit. Il les garde à l’œil et est prêt à bondir au moindre problème.
« Tu veux le bosser un peu ? Je voudrais recommencer doucement la désensibilisation à tout et reprendre son débourrage à la base, comme si c'était un poulain... »
« D'accord, je n'ai pas eu de temps ces derniers mois avec le nouveau poulain de Nara mais je serais heureux de reprendre le travail avec toi. »
Le regard de l'éthologue s'illumine soudain. C'est vrai qu'il avait oublié un instant ce paramètre.
« Oh oui d'ailleurs ! Je ne l'ai pas vu encore ! Inna m'a dit qu'il était crème ? Et encore un petit mec... J'espère qu'il sera comme ses demi-frères... Bien qu'à mon sens, c'est l'homme qui fait son cheval en l'éduquant... »
« J'espère bien qu'il sera aussi joueur que ses demis frères mais tu as raison, j'ai de grands espoirs pour lui »
L’éleveur était honnête mais se gardait bien d'évoquer ses craintes. L'éthologue fraîchement de retour n'avait pas envie d'écouter un vieil homme se plaindre.
« D'ailleurs ce trimestre sera déjà lourd en travail avec les compétions, nous serons plus au calme cet été. En attendant Arès se sociabilisera encore un peu. »
« Oui... De la compagnie ne pourra pas lui faire de mal... Je ne vais pas te retenir plus longtemps... Merci beaucoup Tom en tout cas ! Et bon courage pour les FHE ! Peut-être qu'on se croisera sur les terrains de concours ! »
Sans un mot l'éleveur acquiesce et lui adresse un signe de la main avant de retourner vers refuge. Izikel reste là, accoudé à la barrière, empli d'une reconnaissance sans faille envers ce grand homme... Il soupire et se détache finalement de la vision du pie broutant sagement. Il n'avait plus qu'une chose à faire, aller retrouver Inna et son monstre...
« Putain Izikel. Elle est pas que fêlée cette côte, elle est cassée ! Et elle a commencé à se ressouder. T'as de la chance qu'elle t'ai pas perforé le poumon ! T'as du être à deux doigts de t'éclater la rate aussi... Et t'as vu l'état de ton épaule ? Un peu plus et elle t'éclatait en morceau à l'intérieur... »
Le métis continu de maugréer mais l'éthologue ne l'écoute plus. Il enfile son t-shirt avec un grimace, évitant soigneusement le regard de son ami et du vétérinaire. Ezra fulmine en rangeant le matériel, retenant à peine ses gestes rageurs. Il sait que le métis va rester en colère un moment et qu'il va devoir faire profil bas. Mais au moins maintenant il est fixé. Il encaisse une insulte bien sentie de la part d'Ezra et soupire à nouveau. Il attend patiemment que sa leçon de morale se termine. Au fond, si Ezra est dans cet état, c'est parce qu'il s'inquiète pour lui. Finalement le métis tape d'un poing rageur dans le mur le plus proche et se tait. Enfin !
« C'est bon t'as fini ? »
La voix de l'éthologue est plus sarcastique qu'il ne l'aurait voulu. Le métis le foudroie du regard mais ne répond rien. Ils se toisent un moment avant que le cavalier disparaisse sans un mot. A tout les coups il est parti courir ou alpaguer Ale pour une séance de combat improvisée, histoire d'évacuer la colère et la frustration. Quand il sera de retour, il ira mieux. Izikel croise le regard gêné de Siobhan et lui sourit gentiment.
« Ne t'en fais pas, il ira mieux tout à l'heure. Merci en tout cas pour le prêt de... tout ça. »
Il fait un geste vague autour de lui, désignant la salle de radiologie. Le vétérinaire soupire et hausse des épaules avec un sourire rassuré.
« Ce n'est rien. Tout le monde s'est beaucoup inquiété pour toi tu sais... »
Izikel sourit, sans pour autant que le sourire atteigne ses yeux. Il saute aussi gracieusement et doucement que possible de la table d'examen immense et soupire de nouveau.
« Tu as eu des nouvelles de... »
Le vétérinaire est hésitant. Izikel plante un regard sombre dans le sien. Le souvenir est douloureux plus que les bleus qui le parcourent. Il se radoucit cependant, ce n'est pas le faute de Siobhan.
« Moïra... Non. Elle doit prendre le large un moment. Je ne sais pas quand je la reverrai... C'est à elle de décider cela... »
Le jeune éthologue soupire encore alors que Siobhan lui sert un regard compatissant. Ils se quittent à l'accueil. Siobhan est de service au centre de soins tout l'après-midi et Izikel a... sans doute du boulot. Mais cette évocation de Moïra le laisse sans envie, vide de toute émotion. Il glisse les mains dans ses poches et marche doucement jusqu'à l'élevage de Liam. L'allée semble vide. Le chat touffu de Liam, dont Izikel ignore encore le nom, s'approche de lui d'un pas nonchalant, queue en l'air, ronronnant. L'éthologue se baisse pour le caresser et se fige en entendant les pas feutré sortir du bureau. Il ne lève pas les yeux mais inspire sèchement, serrant les dents. Il n'a pas besoin de croiser son regard pour savoir que Louna se tient devant lui. Il reste concentré sur le chat, qui s'est affalé devant lui, les pattes en l'air, pour se faire caresser le ventre. De longues secondes s'écoulent avant que la jeune femme ne brise le silence d'une voix faible, à peine un murmure.
« Salut... »
Izikel lève enfin les yeux. Un gris sombre, comme un ciel d'orage. Louna se tient dans l'encadrement de la porte, les bras croisé sous sa poitrine, enroulée dans un gilet de laine écru.
« Salut. »
Le jeune homme baisse de nouveau les yeux sur le chat, le caresse une fois encore et se lève, tournant les talons pour partir. Il n'a aucune envie de rester là, seul avec Louna. Mais la voix de la jeune femme dans son dos l'immobilise.
« Je suis désolée ! »
Il ferme les yeux et soupire, serrant les dents. Il n'a vraiment pas envie d'entendre ça et la vague de colère se répand dans tout son être. Il se retourne pour lui faire face, les mains dans ses poches, la mâchoire crispée, sans dire un mot. Louna semble un peu décontenancée mais elle poursuit. Elle sait très bien qu'elle n'aura pas d'autres chances que celle là d'être seule avec lui.
« Je suis désolée de tout ce que je t'ai fait. »
Des larmes de colères menacent au bord des yeux de l'éthologue. Un sourire ironique déforme ses lèvres et il détourne un instant le regard, cherchant ses mots.
« Comment peux tu l'être, tu ne me connais même pas. Comment peux tu être désolée de quelque chose alors que tu ne sais même pas ce que tu as fait ? »
Le ton est froid et calme. Trop calme. Empli d'une colère contenu et d'une frustration sans fin. L'éleveuse ouvre la bouche un instant avant de la refermer. Izikel tressaille, prêt à se retourner de nouveau mais encore une fois, elle choisi ce moment pour parler à nouveau. Au moins, elle n'a pas perdu son sens du timing.
« Je sais. Les autres m'ont raconté. »
« Et ? Tu ne te souviens encore de rien. »
« Tu es parfois présent dans mes rêves. Le psy pense que c'est des souvenirs qui refluent. »
Le psy ? Tiens, première nouvelle. Malgré son étonnement premier, l'éthologue balaie l'idée d'un revers de main. Il soupire.
« Tu ne le pense pas. »
« Pourquoi je ne le penserais pas ? Ce n'est pas parce que je suis amnésique que je ne suis pas sincère. »
Elle fronce les sourcils, vaguement vexée. Izikel éclate d'un rire jaune et lève les yeux au ciel encore une fois.
« Toi ? Sincère ? Laisse moi rire. Tu ne l'as jamais été. »
Cette fois c'est la douche froide. Toute couleur quitte le visage de la jeune femme d'un coup et ses bras retombent le long de son corps.
« En tout cas, jamais avec moi. Mais je commence à avoir l'habitude, ne t'inquiète donc pas. »
Izikel affiche un sourire narquois et fait une légère révérence avant de tourner les talons. Il semble que Louna murmure quelque chose mais il l'ignore. Elle répète plus fort, implacable et Izikel ne peut plus l'ignorer.
« Expliques moi. »
Il se retourne, la colère déformant ses traits.
« Que je t'explique quoi ? »
« Donnes moi ton point de vue. J'ai eu celui des autres mais pas encore le tien. Alors dis moi pourquoi tu me déteste autant ! Dis moi ce que je t'ai fait ! »
Elle crie presque à la fin et recroise les bras sous sa poitrine. Izikel pèse le pour et le contre, la mâchoire crispée et les yeux noirs. Quand il prend la parole, il n'arrive plus à masquer la colère. Le ton est froid, empli d'une rage non contenue.
« Bien ! Si tu veux savoir... Tu m'as menti et trompé. Avec les autres, on a toujours tout fait pour que tu sois protégée, et heureuse. Et comment tu nous le rends ? En nous cachant un déplacement. Tu as été à New York seule, alors que nous étions sur place, en train de risquer nos vies pour toi. Tu savais que le déplacement était dangereux et tu y as été quand même. J'ai failli me noyer Louna ! J'ai failli mourir pour toi ! Est-ce que tu t'en rends compte ? »
Il monte d'une octave, incapable de caché la colère, son corps entier se crispe.
« Je t'ai aimé, longtemps et tu m'as rejeté, sans arrêt. Dès que tu as rencontré Enzo, je suis devenu le boulet de l'équipe. Tu passais tes nerfs sur moi sans arrêt. Tu as même été jusqu'à m'interdire de mettre les pieds dans ton élevage et de toucher à tes chevaux. Et après c'est moi qui te déteste ? J'ai subi tes sautes d'humeur sans rien dire. J'ai même accepté d'être ton témoin ! Est-ce que tu te rends compte de l'effort que ça m'a demandé ? J'espérais qu'une fois mariée, si je répondais à ta demande en me montrant présent, en te soutenant, je reviendrais peut-être dans tes grâces. Et pour quoi au final ? Être oublié ? Balayé ? Relégué dans les tréfonds de ta mémoire à jamais ? Quand j'ai appris que tu nous avais tous trompé, je me suis senti particulièrement trahi. Tout le chemin parcouru, toutes ces années passé ensemble, cette confiance tissé au fil du temps... Pour rien ! Illusoire ! »
Le jeune homme cherche ses mots un instant. Une larme de rage s'échappe et roule sur sa joue. Il la balaie d'un revers de main avant de secoué la tête, déconcerté. Il reprend la parole d'une voix glaciale, sa hargne en sourdine, les yeux noir, les poings serré le long de son corps.
« On m'accuse de te détester, et ce n'est pas faux, mais j'en suis à me demander si toi, tu m'as déjà aimé, ne serait-ce qu'une fois. »
Ils se dévisagent un instant. L'éleveuse est blême et quand elle prend la parole, c'est d'une voix blanche, à peine un murmure. Son regard est dans le vague, quelque part à ses pieds.
« Oui... »
« Oui quoi ? »
Cette fois, le regard de la jeune femme, empli de larmes, se pose dans celui de l'éthologue, toujours aussi colérique et sombre.
« Oui je t'ai aimé. »
Izikel soupire alors qu'une larme s'échappe des yeux noisette de la jeune femme et trace un sillon salé sur sa joue.
« Et bien permets moi d'en douter. »
« S'il te plait... »
Izikel crispe la mâchoire sans dire un mot. Insensible à la détresse du regard de la jeune femme et à ses joues trempées de larmes.
« S'il te plait, laisses moi me rattraper. Reprenons du début... »
Son regard est implorant. Son corps entier est implorant. Mais l'éthologue reste inflexible.
« Non Louna. »
« Pourquoi ? »
« Parce que je ne peux pas ! J'en suis incapable ! Vis ta vie et laisse moi essayer de vivre la mienne. Maintenant tu m'excuseras mais j'ai du boulot. »
Sans lui laisser le temps de répondre, il fait demi tour et sort de l'élevage en trombe, manquant de percuter Liam de peu. L'éleveur s'étonne mais il n'a pas le temps de demander ce qui se passe. Louna apparaît sur le seuil.
« Izikel ! »
« NON ! BORDEL !? COMMENT JE DOIS TE LE DIRE ? FOUTEZ MOI LA PAIX TOUS ! »
Cette fois, il n'a pas retenu le hurlement qui grondait sourdement dans sa voix jusque là. Sans un regard à Liam il s'éloigne, sous les regards ébahi de l'équipe qui suivait, un peu plus loin. Il entend Lou-Khyan l'interpeller et il sent sa main proche de lui attraper l'épaule mais il l'esquive et lui souffle un « Non » ferme. Il s'éloigne à grands pas et croise Ezra un peu plus loin mais il lui sert le même « Non » qu'à Lou et l'esquive. Il n'a qu'une envie, retrouver Moïra. Mais il ne peut pas. Son cœur se serre à cette pensée alors qu'il verrouille la porte de sa chambre derrière lui. Pourquoi est-il revenu ? La pensée de Rise et Arès l'apaise. Il est revenu pour ses chevaux. Il fait les cent pas dans sa chambre et fini par se calmer. Un rapide passage dans la salle de bain lui permet de se rafraîchir avant de reprendre la route des élevages, mais pour celui de Jeffrey. Ne penses plus... Travailler. Et rien d'autre. Pour oublier.
Halloween
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