Chapitre 01
Episode 07
Se rassurer ;
Le craquement sec du bois lui fit ouvrir les yeux avec un sursaut. Le feu brûlait toujours dans la cheminée avec la même vigueur que lorsqu'il avait mit la dernière bûche, dix minutes plus tôt. Enfin, ce qui lui semblait être dix minutes plus tôt. Il avait fermé les yeux seulement quelques minutes... Un coup d’œil à la pendule murale de la cuisine en face de lui lui confirma qu'il n'avait fermé les yeux que quelques minutes. Mais il ne s'en était même pas rendu compte. Il soupira en se redressant, appuyant son dos un peu plus convenablement sur le dossier du canapé du salon. Un plaid sur les genoux, il jeta de nouveau un coup d’œil à la pendule. Deux heures dix-sept. Il soupira en plongeant le regard dans l'âtre...
Lorsqu'il était revenu avec Louna, Myriam était partie se coucher. Ezra et Izikel était dans le salon. L'un désolé et anxieux, l'autre pâle mais malgré tout désolé. Ils avaient échangés quelques mots et ils étaient tous parti. Liam s'était retrouvé seul avec une Myriam endormie. Il se faisait tard et comme il préférait la voir se reposer, il avait opté pour l'option canapé. Un feu de cheminée allumé et un verre de whisky sur la table basse plus tard, il était sous un plaid, avachi dans le canapé, à réfléchir.
Liam faisait parti de ces gens qui, quand ils réfléchissent, le laissait transparaître sur leurs visages. Ils donnaient alors une fâcheuse impression de dépression profonde, et que tout le malheur du monde pesait sur leurs épaules. Ces personnes à qui, quand on les voit dans ces moments là, l'on ne puisse pas s'empêcher de leur poser cette question absurde et banale : « ça va ? ». Dans ces cas là, non seulement cela interrompt les réflexions en cours, mais cela rend en plus les gens plus ou moins agressifs. Mais personne n'était là pour voir Liam dans cet état d'extrême lassitude et réflexion. Et personne ne pouvait donc le déranger.
Il avait passé beaucoup de temps à faire le vide dans son esprit. Avec l'aide de quelques verres de whisky bien tourbé. Le rythme lent des bûches brûlant dans le feu l'apaisait. Il n'y avait aucun bruit, mis à par le vent au dehors et le craquement du bois dans le feu. Il entrevoyait son niveau d'alcoolémie à chaque fois qu'il se levait pour aller mettre une nouvelle bûche dans les flammes. Et quand à la dernière bûche, la pièce sembla dangereusement tournoyé devant ses yeux, il troqua la bouteille de whisky contre une plus claire, d'eau fraîche.
Il avait beaucoup soupiré. Mais il avait aussi fait le tri de beaucoup de choses dans sa vie. Jusque là, il avait quand même eu une existence mouvementée. La perte de ses deux parents, ses petits boulots à la pelle et son début de carrière dans le cinéma. En réalité, il aurait pu garder ce "métier" d'acteur. Mais il en avait eu marre. Il avait un petit côté tête brûlée qui l'avait fait aller à Full Horse. Mais pourquoi cette soudaine envie ? Pourquoi avait-il tout plaqué pour rejoindre l'écurie nomade ? Il en avait eu marre de ce monde de paillettes et des étiquettes. Il en avait eu marre de ses différents avec les réalisateurs. Le dernier était d'ailleurs particulièrement agaçant. Et il avait aimé remonter à cheval. Même si Call n'avait pas été le partenaire idéal à leurs débuts. A vrai dire, ce cheval ne l'aimait pas. Mais l'éleveur s'était prit à son jeu et finalement, une complicité était née. Pas une amitié. Une complicité. Comme celle que l'on a avec nos meilleurs ennemis...
Et la passion que Logan lui avait transmise durant ses nombreuses heures de cours. Ça aussi... Il avait eu envie d'être aussi passionné que lui. Et dans sa vie à ce moment là, il ne l'était pas. Il enchaînait les relations sans avenir. Les femmes préféraient son nom et son portefeuille plutôt que lui-même. Il en avait eu marre des faux semblants. Même si le monde du cinéma n'est pas aussi noir et dur qu'on peut le dépeindre, il en avait eu marre. Il n'avait pas été élevé comme ça à la base. Il n'avait pas réfléchi pour prendre cette décision. Il ne réfléchissait pas souvent avant de prendre une décision de toute façon. Il avait toujours tout fait à l'instinct.
Il avait suivit Louna dans toutes ses péripéties sans se poser de questions. Il n'avait pas vraiment d'attaches, il ne craignait pas pour sa vie. En même temps, l'avait-il vraiment risqué, sa vie ? Avait-il vraiment prit des risques inconsidérés ? Peut-être pas tant que ça après tout. Même si certaines de ses cicatrices témoignaient d'une certaine dangerosité. Mais le fait est qu'il était encore là, et que pour la première fois de sa vie, il prenait vraiment le temps de réfléchir pour prendre une décision. Il n'en avait pas l'habitude et c'est pour cela que ça lui prenait autant de temps. Il s'était parfois assoupi entre minuit et deux heures trente, mais sinon, il n'avait cessé de regarder le feu de cheminée en réfléchissant.
Le nœud était complexe à démêler. Mais il en était arrivé à cette conclusion : Quitter Full Horse et l'équipe pour rester avec Myriam ; Quitter Myriam pour rejoindre Full Horse et l'équipe ou enfin, réussir à la convaincre de repartir à Full Horse si l'écurie ré-ouvrait bel et bien. Et malgré tout l'amour qu'il portait à Myriam, il ne cessait d'hésiter entre les deux premières options, la troisième lui paraissant pour l'instant infiniment trop compliqué à traiter.
En vérité, il avait une peur bleue de devenir père. Même si le sien avait été un bel exemple à suivre. Il craignait de perdre Myriam comme sa mère était morte, et de disparaître à son tour un peu plus tard, comme son propre père l'avait fait. En somme, il ne voulait pas être père, pour ne pas engendrer un orphelin. Mais hormis cela, il redoutait d'être père parce qu'il ne savait pas s'occuper d'un enfant. Il n'avait jamais eu de bébé dans les bras jusque là et il n'avait pas la moindre idée de comment s'en occuper. Jamais il n'avait été confronté à pareille épreuve. Pas même dans l'un de ses rôles. Il ne voulait pas le montrer à Myriam, de peur qu'elle ne panique plus encore. Il ne voulait pas non plus le montrer aux autres. A la fois par pure fierté masculine -mal placée- et pour ne pas que les autres en parlent à Myriam. À la limite, Louna et Logan pouvaient peut-être faire parti des rares à qui il se confierait. Mais quand ? Comment ? Et à quoi bon ? Louna avait d'autres choses à penser, surtout qu'elle allait prendre un avion pour Chicago d'ici peu. Et Logan était lui aussi confronté à ce problème bien réel : prendre en charge l'équipe ou non ? Le trentenaire se voyait mal débarqué ainsi comme une fleur pour leur confier ses petits états d'esprits...
Il ferma de nouveaux les yeux quelques minutes, mais lorsqu'il les rouvrit, un rayon de soleil pâle tombait sur le comptoir de la cuisine. Le feu ne crépitait plus dans l'âtre en briquette et la pendule annonçait sept heure vingt. L'éleveur resta ainsi un petit moment, un peu pâteux, avant de finalement se lever en silence et approcher de la baie vitrée. Le ciel était clair et le soleil commençait à peine son ascension au dessus de l'océan. Au dehors, un vent faible arrivait à faire rouler quelques grains de sable de temps à autre. Perdu dans la contemplation du paysage, le brun ne vit pas l'ombre fine se glisser derrière lui...
Myriam — Tu as passé la nuit sur le canapé ?
Liam sursauta et se retourna vivement, une grimace de surprise sur le visage. Il fixa Myriam sans rien dire, portant une main à sa poitrine par réflexe. Après quelques secondes pour reprendre ses esprits, il hocha doucement de la tête. Ils restèrent là un moment. Elle, grave, les bras croisés sous sa poitrine. Lui, d'un calme olympien, les mains dans les poches. C'est finalement Myriam qui brisa de nouveau le silence.
Myriam — Tu veux un café ?
Liam — Je veux bien. Merci.
Elle hocha doucement de la tête et se mit en mouvement. Le trentenaire la suivi du regard un instant avant de reporté son attention sur le paysage derrière lui. Il soupira doucement. Une légère migraine s'installait dans son crâne, et s'il ne faisait rien pour l'endiguer, elle se ferait plus forte au fil des minutes. Il ne savait cependant pas s'il devait attendre un peu ou prendre un cachet maintenant. C'est qu'il avait un peu de mal à prendre des décisions, même simples, après la nuit qu'il venait de passer.
Le son d'une petite cuillère tombant sur le carrelage lui fit tourner la tête. Myriam avait les deux mains à plat sur le comptoir et les yeux rivés sur la tasse de café devant elle. Elle prit une grande inspiration et plia les genoux pour attraper la cuillère au sol, avant de la jeter dans l'évier. Liam la regarda faire avec calme, sans aucune expression. Il était soudain très las. La lassitude chez lui était souvent signe qu'il en avait marre de quelque chose. En avait-il marre de cette vie là ? Était-il tant de changer de cap ? Pourtant il n'éprouvait pas l'envie de quitter Myriam. Mais il savait pertinemment qu'il était à un carrefour. Et que le choix qu'il ferait maintenant pèserait sur sa vie pour le restant de ses jours. La jeune femme leva les yeux en emportant deux tasses avec elle et croisa son regard. Elle failli bien se stopper net, mais elle poursuivit son chemin. Avec calme, elle posa les deux tasses sur la table basse et prit place sur le canapé que le trentenaire avait occupé quelques minutes auparavant.
Encore une fois, de longues minutes s'écoulèrent avant que la demoiselle ne brise le silence.
Myriam — Je suis désolée... Je ne voulais pas...
Liam — Myriam.
Il l'avait interrompue au beau milieu de sa phrase. Elle en avait été tellement surprise qu'elle s'était laissé s'enfoncer dans le canapé moelleux, les yeux rivés sur Liam.
Liam — Il va falloir prendre une décision. J'ai passé la nuit sur ce canapé à réfléchir. Réfléchir à une solution, mais aussi faire un point sur ma vie et sur ce que je souhaitais. Et j'en suis arrivé à une conclusion. Déjà, je veux retourner à Full Horse si l'académie reprend du service et je veux monter cette équipe de compétition. J'en ai besoin pour m'épanouir et avoir un but. L'élevage, c'est maintenant ma vie professionnelle et je ne peux pas l'abandonner. Se serait comme démissionner d'un boulot. C'est triste à dire mais tu ne pourras pas m'en empêcher. J'y retournerais quoi qu'il arrive.
La demoiselle baissa les yeux un instant, ne sachant que répondre. Mais Liam sentait bien qu'elle retenait un flot de larmes.
Liam — Malgré tout, je veux aussi être à tes côtés. Je sais que c'est possible d'élever un enfant dans le cadre de l'académie. Et je pense que se sera même un atout pour lui. Il voyagera, sera plus autonome, plus ouvert. Il pourra plus facilement apprendre d'autres langues et se frotter à d'autre cultures. Et dans un monde comme le nôtre, les voyageurs sont appréciés.
Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais Liam poursuivit, l'empêchant ainsi de dire un mot de plus.
Liam — Je comprends que ça t'effraie. Mais tu sais quoi ? Moi aussi je suis mort de trouille. Je ne sais pas comment on fait pour être un bon père. Je n'ai jamais eu de bébé dans les bras. C'est à peine si je sais qu'un bébé boit du lait. Je ne sais même pas pendant combien de temps d'ailleurs. Alors imagine changer une couche !? Pour l'instant j'en suis absolument incapable. Mais je veux apprendre. Je vais apprendre. Et je ferais tout pour que les choses se passent pour le mieux. Autant pour toi que pour le bébé.
Cette fois la jeune femme ne retint pas ses larmes et éclata en sanglot. Liam soupira avant d'aller la rejoindre sur le canapé pour la prendre dans ses bras. Il laissa son regard balayé le plafond. Le soleil y jetait des reflets dorés qui plaisaient bien à l'éleveur.
Myriam — C'est vers six mois...
Liam — Pardon ?
La demoiselle se décolla de lui cherchant son regard sans se fixer sur un œil.
Myriam — Les petits pots pour bébé c'est vers six mois...
Liam — Et bien tu en sais plus que moi.
Liam sourit alors que la demoiselle se calait de nouveau contre lui. Il se laissa glisser sur le dossier avec un soupir de soulagement. Après de longues minutes de silence, alors que le garçon était sur le point de fermer de nouveau les yeux et sombrer dans le soleil, les murmures de la jeune femme parvinrent à ses oreilles.
Myriam — Je viendrais... Je t'aime Liam.
Liam — Je t'aime Myriam.
Un sentiment de bien être l'envahit et avant de sombrer dans le sommeil, il se promit de ne plus jamais autant réfléchir de tout le reste de sa vie...
Halloween
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